BP-373F
PRÊTS ÉTUDIANTS À REMBOURSEMENT
Rédaction :
TABLE
DES MATIÈRES B. La structure de base des prêts à remboursement fondé sur le revenu LE
CANADA ET LES PRÊTS ÉTUDIANTS À REMBOURSEMENT
PRÊTS ÉTUDIANTS
À REMBOURSEMENT Il est reconnu que l'éducation est un facteur clé pour l'accroissement de la productivité, mais elle coûte cher. Les gouvernements étant en quête de moyens pour comprimer leurs déficits, ils tentent d'alléger leurs coûts en matière d'éducation en faisant assumer une partie de ceux-ci par les étudiants ou leurs parents. Une des solutions proposées à cet égard est un régime de prêts pour les études supérieures dont le remboursement dépendrait du niveau de revenu. À la différence de celui des prêts ordinaires, qui se fait par paiements périodiques égaux, le remboursement de ces prêts correspondrait à une certaine proportion du revenu annuel; les paiements de n'importe quelle période donnée varieraient d'après le revenu au lieu d'être fixes. Les prêts à remboursement fondé sur le revenu pourraient remplacer les prêts étudiants habituels, qui présentent des inconvénients tant pour les prêteurs (taux élevé de non-remboursement) que pour les emprunteurs (taux d'intérêt élevés en raison d'un fort taux de non-remboursement et lourde dette à assumer dès l'obtention du diplôme). Ils pourraient aussi remplacer les programmes qui prévoient le versement de subventions directes aux étudiants ou ils pourraient être associés à une hausse des frais de scolarité des collèges et universités. Dans ce document, nous examinons d'abord la première proposition qui ait été faite en matière de prêts étudiants à remboursement fondé sur le revenu. Nous étudions ensuite les tentatives de mise en vigueur de tels prêts qui ont eu lieu par le passé et qui ont actuellement cours aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Enfin, nous nous penchons sur les enseignements que le Canada pourrait tirer de ces expériences et tentons de prévoir comment la formule pourrait s'appliquer au pays. La source reconnue de la plupart des régimes de prêts étudiants à remboursement fondé sur le revenu est un essai intitulé «The Government and Education» et publié en 1955 par l'économiste Milton Friedman, de l'Université de Chicago(1). En fait, Friedman avait jeté les bases de cette formule en 1945 dans un livre sur les professions libérales aux États-Unis rédigé en collaboration avec un autre économiste(2). Cette proposition se voulait une réponse au fait que l'on craignait que des personnes capables et désireuses de se lancer dans une profession donnée ne puissent obtenir les fonds voulus pour acquérir la formation nécessaire. Il est possible que le financement soit difficile à obtenir parce que celui qui veut s'orienter vers une profession n'est pas en mesure d'offrir une garantie pour son prêt: la capacité de remboursement dépend du revenu à venir, qui est incertain. Les emprunteurs qui ont un faible revenu peuvent, dans le cas d'un prêt ordinaire, manquer à leurs obligations de remboursement, tandis que ceux qui ont un revenu élevé ne paient pas plus que le montant du prêt et les intérêts courus. Les prêteurs doivent donc fixer un taux d'intérêt assez élevé pour couvrir les pertes sur les prêts des emprunteurs qui ne remboursent pas. Selon Friedman et Kuznet, ce taux d'intérêt peut être trop élevé, c.à-d. plus élevé que le rendement économique d'un investissement en formation professionnelle, et faire ainsi obstacle à l'entrée dans certaines professions. Une solution consistait à permettre à celui qui voulait se lancer dans une profession de vendre «des actions» sur sa propre personne, c'est-à-dire accepter de rembourser une proportion donnée de ses gains à venir. Dans une formule comme celle-là, les pertes que le prêteur essuie du côté de ceux qui gagnent peu sont compensées par les remboursements de ceux qui ont des revenus considérables. À l'époque où Friedman et Kuznets ont écrit leur livre, le marché des prêts étudiants était peu développé, si bien que la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu pouvait être intéressante pour tous ceux qui risquaient d'être attirés par une profession, même ceux qui entrevoyaient la possibilité de gains élevés. Comme nous le verrons plus loin, la possibilité pour les étudiants d'obtenir des prêts ordinaires peut miner les assises financières d'un régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu. Dans son essai de 1955, Friedman se préoccupait surtout de ce qu'il considérait comme une injustice, soit que les contribuables, dont beaucoup ont un revenu relativement faible, subventionnent les études universitaires des enfants de familles à revenus plutôt élevés. De plus, étant donné que les études universitaires accroissent le potentiel de rémunération, l'écart de revenus entre le contribuable moyen et le diplômé se creuserait avec le temps. La solution de Friedman consistait à exploiter la capacité de gains accrue des diplômés pour financer les études universitaires: l'étudiant emprunte pour payer ses études et, pour rembourser son prêt, accepte de verser une proportion préétablie de ses gains futurs. L'économiste voyait dans ce régime une solution capable de remplacer les prêts à remboursements par paiements fixes. Il admettait expressément que les diplômés qui réussiraient le mieux (en ce qui a trait à la rémunération ultérieure) rembourseraient plus que le coût de leurs études, compensant ainsi pour les diplômés moins heureux qui ne rembourseraient jamais le plein montant du prêt et des intérêts courus. Alors que Friedman mettait généralement l'accent sur le marché privé, il reconnaissait que les frais d'administration élevés du régime (par exemple, la difficulté d'obtenir des déclarations de revenus exactes de la part des emprunteurs) pouvaient justifier une intervention de l'État. Selon sa formule, le secteur public ou le secteur privé fourniraient les fonds, attirés par la possibilité d'interfinancement entre les diplômés qui réussissent et ceux qui réussissent moins bien. Friedman admettait que, si, en raison de coûts de surveillance élevés, le droit contractuel et les sanctions qu'il comporte ne réussissaient pas à fixer le taux de non-remboursement à un niveau acceptable, le gouvernement pourrait recourir au régime fiscal pour obtenir le remboursement des prêts. Étant donné que tous les étudiants auraient accès aux prêts à remboursement fondé sur le revenu, le gouvernement n'aurait pas à intervenir pour décider qui pouvait emprunter. Un livre de 1972, New Patterns for College Lending: Income Contingent Loans(3), donne une excellente vue d'ensemble, maintenant un peu dépassée, sur les prêts à remboursement fondé sur le revenu. Le chapitre 3 du livre énumère et résume brièvement plusieurs propositions de la fin des années 50 et des années 60. Ces propositions étaient théoriques, et ce n'est qu'au début des années 70 que des universités ont tenté de les mettre en pratique. Mais avant d'étudier ces premières tentatives, il est utile d'examiner la structure de base des régimes de prêts à remboursement fondé sur le revenu. B. La structure de base des prêts à remboursement fondé sur le revenu Les divers régimes de prêts à remboursement fondé sur le revenu comptent plusieurs variables. Certaines peuvent être contrôlées par ceux qui proposent le régime, d'autres non. Voici quelles sont ces variables:
Des formules hybrides entre prêt à terme fixe et prêt à remboursement fondé sur le revenu sont envisageables. Elles nécessiteraient une modification de la liste ci-dessus. Ainsi, l'emprunteur pourrait être obligé de payer un minimum chaque année, peu importe le niveau de ses revenus. Ce serait là un facteur à ajouter à la liste. À l'inverse, l'emprunteur pourrait ne pas avoir à payer une partie quelconque de son revenu tant que celui-ci demeure inférieur à un certain seuil. Cela nécessiterait une modification du quatrième facteur de la liste. La valeur actualisée correspond simplement aux revenus futurs, rajustés selon un taux d'intérêt approprié. Ce taux n'est pas nécessairement identique au taux d'intérêt sur le prêt (il est même probable qu'il soit différent). Ces différences entre les taux compliquent les calculs, d'autant plus que, dans les programmes de prêts étudiants, on n'exige pas d'intérêts sur le prêt pendant les études et même pendant une certaine période après la fin des études. Ceux qui préconisent la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu ont soutenu que, avec le temps, le programme s'autofinancerait. En adoptant certaines hypothèses simplificatrices, on peut représenter le point d'équilibre de la manière suivante:
c'est-à-dire que la proportion du revenu qui est versée en remboursement du prêt, x, multipliée par la valeur actualisée des revenus moyens de l'emprunteur pendant la durée du prêt, VA, équivaut au montant du prêt, P. Les hypothèses simplificatrices sont les suivantes: 1) l'ensemble du prêt est contracté d'un seul coup au lieu de s'échelonner sur les années d'études; 2) les intérêts commencent à courir dès que le prêt est contracté et non à une date ultérieure, par exemple six mois après l'obtention du diplôme; 3) et les taux d'actualisation et d'intérêt sont identiques. Sans ces hypothèses, les calculs seraient plus compliqués, mais l'élément central de l'équation (xVA = P) serait identique. Il est à noter que ce point d'équilibre est défini pour la valeur actualisée moyenne du revenu ultérieur de toute la population d'emprunteurs (ou un sous-ensemble de cette population, par exemple, tous ceux qui ont emprunté ou commencé à rembourser leur prêt dans une année donnée). Pour chaque emprunteur, le point d'équilibre se situe là où la valeur actualisée des revenus à venir est telle qu'un prêt à remboursement fondé sur le revenu et un prêt ordinaire seraient également intéressants. De toute évidence, en choisissant la proportion des revenus à rembourser chaque année pour que le régime s'autofinance, les prêteurs (gouvernements, universités, établissements financiers privés) doivent prévoir ce que seront les revenus de l'emprunteur moyen. Il y a plusieurs méthodes pour faire de telles prévisions. L'une d'elles consiste à se servir des revenus moyens des diplômés des années antérieures -- soit ceux de tout le pays, soit ceux d'une université en particulier. Une autre est de se servir du profil des revenus des diplômés qui ont contracté des emprunts -- encore une fois, dans tout le pays ou dans une université donnée. Si les étudiants de sociologie empruntent, alors que les étudiants de médecine ne le font pas, les prévisions doivent reposer sur le revenu des sociologues plutôt que sur celui des médecins ou d'un groupe formé de représentants des deux professions. Peu importe, au fond, la méthode employée pour prévoir les revenus moyens des diplômés. Ce qui est important, c'est que la valeur actualisée des revenus utilisée dans les calculs soit celle de l'emprunteur moyen; certains diplômés auront des revenus élevés, d'autres des revenus plus faibles. Pour qu'un régime s'autofinance, il faut que les revenus supérieurs à la moyenne subventionnent les revenus inférieurs à la moyenne. Autrement dit, les diplômés qui réussiront le mieux paieront plus que la valeur actualisée de leurs prêts, l'excédent servant à rembourser les prêts de ceux qui réussiront moins bien. Si les étudiants savent que leurs revenus seront supérieurs ou inférieurs à la moyenne, un problème de sélection inverse risque de surgir, c'est-à-dire que les étudiants qui s'attendent à des revenus inférieurs à la moyenne opteront pour les prêts à remboursement fondé sur le revenu, tandis que ceux qui tablent sur des revenus supérieurs à la moyenne préféreront les prêts ordinaires pour éviter de subventionner les autres. Si les étudiants peuvent prévoir leurs revenus futurs avec exactitude et agir en conséquence, il faudra, pour atteindre le point d'équilibre dans un programme de prêts à remboursement fondé sur le revenu, une subvention venant de l'extérieur (université ou gouvernement); si le programme est assorti d'une subvention, c'est qu'il comporte un élément équivalant à une bourse, au moins pour certains emprunteurs. L'intérêt des prêts à remboursement fondé sur le revenu est fonction de l'imperfection des marchés de capitaux: les étudiants ne peuvent obtenir de prêts, sinon à des taux trop élevés pour que l'investissement dans les études soit rentable. Lorsque l'idée des prêts à remboursement fondé sur le revenu est apparue, dans les années 40 et 50, le marché des prêts étudiants était peu développé. Les programmes de prêts offerts sont beaucoup plus nombreux maintenant qu'ils ne l'étaient à l'époque (même si le marché est encore loin de la perfection); par conséquent, les conditions qui régissent les autres formules de prêt peuvent être un facteur clé pour le succès d'un régime de prêt à remboursement fondé sur le revenu. Même si le régime de prêts de Friedman a été élaboré dans le cadre d'une critique de l'éducation supérieure financée par l'État (surtout le régime californien qui prévoyait alors l'éducation «gratuite» dans les collèges et universités de l'État), la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu est apparue pour la première fois au début des années 70 dans les écoles privées. Yale est l'exemple le plus fréquemment cité, mais Duke a lancé un programme de prêts semblables à peu près à la même époque. À compter de l'année universitaire 1971-1972, Yale a proposé aux étudiants le report des droits de scolarité (Tuition Postpostment Option ou TPO), formule qui permettait de rembourser les prêts au moyen des revenus ultérieurs. Le programme, qui s'est appliqué de 1972 à 1978, n'a pas été un succès. Ce programme permettait aux étudiants de premier cycle de Yale, d'emprunter jusqu'à 1 150 $ en 1972-1973; dans écoles professionnelles de Yale, le maximum était de 950 $. Pour les années qui ont suivi, les maximums ont été majorés de toute augmentation des droits de scolarité. Les emprunteurs devaient rembourser 0,4 p. 100 de leur revenu annuel par tranche de 1 000 $ de droits de scolarité reportés. Le remboursement devait s'échelonner sur un maximum de 35 ans, mais on s'attendait à ce que la durée réelle des remboursements soit beaucoup plus courte. Dans le cadre de ce programme, Yale a prêté huit millions de dollars à 3 602 étudiants. La plupart des emprunteurs étaient des étudiants de premier cycle (66 p. 100 du total); 9 p. 100 étaient inscrits à la faculté des arts et des sciences, 6 p. 100 à la faculté de droit, 4 p. 100 à la faculté de théologie, 4 p. 100 à la faculté de médecine et les 11 p. 100 restants dans sept autres écoles professionnelles(4). À l'automne de 1993, 724 emprunteurs, soit à peine plus de 20 p. 100 du total, avaient remboursé leurs prêts. Il y a pour l'emprunteur deux manières de se libérer de son prêt avant la fin des 35 ans. La première est de payer 150 p. 100 du prêt initial et les intérêts courus (le taux d'intérêt est fixé tous les six mois; il correspond approximativement au taux que Yale prévoit payer sur ses propres emprunts, plus 1 p. 100). La Tax Reform Act de 1986 a réduit la déductibilité des intérêts sur les prêts aux étudiants, ce qui a amené 300 emprunteurs à liquider leur emprunt. La deuxième formule de remboursement anticipé consiste à faire partie d'un groupe (habituellement, tous les emprunteurs du TPO qui ont commencé à rembourser leur prêt la même année) qui rembourse le total des emprunts du groupe et les intérêts courus. Chaque emprunteur doit avoir remboursé au moins le principal du prêt pour profiter de cette liquidation collective de prêt. Les participants à faibles revenus (moins de 7 250 $ en 1972-1973) devaient faire un remboursement annuel minimum de 29 $ par tranche de 1 000 $ d'emprunt. Les données accumulées jusqu'en 1988 sur les remboursements du programme TPO montraient que les liquidations collectives se produiraient probablement dans une période inférieure à 24 ou 25 ans à compter du début du remboursement. Un dirigeant de Yale, commentant le programme en 1988, a conclu ce qui suit: 1) le programme exigeait un important capital initial, étant donné la longue période de remboursement, 2) son administration était complexe, à cause de la nécessité d'établir le revenu chaque année et d'assurer d'importants services de consultation, et de la longue période de remboursement, et 3) le recouvrement dépendait largement d'une description claire et précise des conditions de prêts non classiques. Pendant l'application du programme, Yale a maintenu le niveau de financement des programmes existants d'aide aux étudiants. Le maintien de ces programmes a fait augmenter les coûts des services de consultation, car les étudiants devaient comparer les formules anciennes et nouvelles d'emprunt, formules dont les conditions et les conséquences financières étaient très différentes. Le programme TPO devait s'autofinancer et non rapporter des bénéfices à Yale, mais, étant donné la possibilité de devoir aider les participants au programme de prêts à remboursement fondé sur le revenu, certains étudiants qui auraient pu y participer devaient trouver plus avantageux les programmes d'aide déjà offerts. L'expérience de TPO a été graduellement abandonnée à compter de l'année universitaire 1977-1978. À cette époque, selon un représentant de Yale, il y avait des programmes fédéraux qui répondaient aux besoins que le programme expérimental devait satisfaire. Ironie du sort, on envisage maintenant de recourir à ce genre de programme pour remplacer les programmes fédéraux existants. Récemment, des propositions de programmes de prêts à remboursement fondé sur le revenu ont resurgi aux États-Unis. Deux propositions de loi en ce sens ont été déposées au 102e Congrès, en 1991, à savoir le Income-Dependent Education Assistance Act (H.R. 2336) et le Self-Reliance Scholarship Act (H.R. 3050). Au cours des audiences qui ont eu lieu en février 1992 sur ces propositions de loi, un partisan venant des milieux universitaires a fait remarquer que les deux propositions différaient par des détails, mais qu'elles avaient en commun trois importants éléments: 1) admissibilité universelle, 2) financement fédéral direct et 3) remboursement fondé sur le revenu. Le deuxième élément va évidemment à l'encontre des principes du régime proposé par Friedman, car un financement fédéral remplace les prêts du secteur privé. En outre, au lieu de recourir au droit contractuel ordinaire pour limiter les défauts de paiement, on ferait appel au Internal Revenue Service (IRS) pour percevoir le remboursement des prêts. Les fonctionnaires de l'IRS se sont opposés à l'idée qu'il soit fait appel à leur service pour percevoir les remboursements, soutenant que cette proposition modifierait fondamentalement la mission de l'Internal Revenue Service et son rôle dans la vie des contribuables. L'IRS recouvre déjà certaines dettes fédérales qui ne relèvent pas de l'impôt, y compris des cas de non-remboursement de prêts étudiants dans le cadre du programme de déductions sur les remboursements d'impôt. En 1991, ce programme a permis de recouvrer plus de 900 millions de dollars, dont plus de 360 millions en prêts étudiants, au moyen de déductions sur les remboursements d'impôt. Au cours des audiences de 1992, un fonctionnaire de l'IRS a fait remarquer que les propositions de régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu transformeraient l'IRS, jusque là agent de dernier recours pour le recouvrement des dettes, en un service de recouvrement de première ligne. Il a également fait remarquer que la proposition allait à l'encontre des efforts de l'IRS pour simplifier le régime fiscal. Un autre témoin a fait remarquer que le recours à l'IRS ne ferait pas disparaître tout à fait le problème de non-remboursement, car certains diplômés n'auraient pas de revenu imposable; il a ajouté que le programme pourrait accroître le problème de fraude fiscale, car il donnerait une raison de plus pour ne pas déclarer tous ses revenus. Le Self-Reliance Scholarship Act proposait, pour éviter le problème de sélection inverse, des maximums et des minimums de remboursement. Un étudiant qui aurait contracté un prêt de 10 000 $ et aurait convenu de rembourser au rythme de 1,5 p. 100 de ses revenus futurs sur 25 ans ne pourrait payer moins de 477 $ et pas plus de 1 083 $ par année; le montant payé dépendrait de l'importance du revenu du diplômé par rapport à la «moyenne des diplômés de collège» (un diplômé ayant un revenu inférieur aux deux tiers de la moyenne paierait le minimum, tandis que celui qui a un revenu supérieur à une fois et demie la moyenne paierait le maximum). Aucun des deux projets de loi n'a franchi l'étape de la commission, dans le processus législatif du Congrès américain, mais l'idée des prêts à remboursement fondé sur le revenu est loin d'être morte. À la fin d'avril 1993, le président Clinton a rendu public un plan qui changerait la façon dont les Américains paient leurs études collégiales. Ce qui a retenu le plus l'attention des journalistes, c'est le programme de service national; cependant, une autre partie prévoyait un réaménagement du programme de prêts étudiants. Le plan contenait des éléments analogues à ceux des deux propositions de 1991 -- des prêts directs des autorités fédérales et le recouvrement, comme pourcentage du revenu, par l'IRS -- mais le remboursement fondé sur le revenu n'était qu'une possibilité parmi d'autres. Ainsi, les emprunteurs pouvaient également rembourser le prêt sur dix ans par mensualités fixes, sur une période plus longue avec des paiements fixes légèrement plus bas ou encore sur une période fixe, mais avec des versements qui augmentent progressivement. Le gouvernement fédéral des États-Unis participe largement au financement des études supérieures. Au cours de l'exercice financier 1992-1993, ses dépenses directes au titre de l'enseignement supérieur sont, selon les projections, de 21,3 milliards de dollars (ou 12,4 p. 100 de toutes les dépenses pour ce niveau). Les initiatives fédérales dans ce domaine comprennent de nombreux programmes, dont deux occupent une place prédominante: les subventions Pell et les prêts fédéraux pour l'éducation familiale (FFEL). Le premier de ces programmes doit procurer 6,4 milliards de dollars d'aide aux étudiants en 1992-1993, tandis que le second doit permettre de verser 13,6 milliards. Les fonds du programme FFEL sont fournis par des établissements financiers privés; le gouvernement fédéral garantit les prêts et subventionne fréquemment les intérêts pendant que les jeunes sont aux études. Un important marché secondaire des prêts étudiants s'est développé. Lorsque les étudiants obtiennent leur diplôme, il arrive souvent que les banques vendent les prêts sur ce marché. Le protagoniste le plus important sur ce marché est la Student Loan Marketing Association (souvent appelée Sallie Mae), qui finance l'achat de prêts auprès des banques en vendant des obligations (avec l'appui de prêts garantis par le gouvernement). Les banques et autres établissements qui participent à l'actuel programme de prêts aux étudiants s'opposent vigoureusement au nouveau régime de prêts. En 1992, les banques ont réalisé 13,6 milliards en prêts étudiants assurés par le gouvernement. Elles ont donc beaucoup à perdre si le gouvernement fédéral fait des prêts directs. Un observateur a fait remarquer que le lobbying avait été intense, des démarcheurs grassement payés se substituant aux intervenants d'allure plus modeste qu'on voit habituellement s'intéresser aux questions d'éducation. En 1992, le non-remboursement de prêts a coûté au gouvernement fédéral, selon les estimations, environ trois milliards de dollars; le ministère de l'Éducation prétend que le nombre de cas a beaucoup diminué depuis 1991, et que cette diminution se poursuivra à cause des changements apportés au régime FFEL par les Higher Education Amendments de 1992. Cette baisse des coûts du non-remboursement de prêts est prévue même si la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu avec recouvrement par l'IRS n'est pas adoptée. Le programme envisagé de prêts directs du gouvernement devrait s'autofinancer, le nombre réduits de non-remboursement étant une source importante d'économies par rapport au régime actuel. Deux raisons font que la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu permettrait d'en arriver à un taux de non-remboursement plus faible. La première, c'est que les versements fluctueraient avec le revenu, si bien que les difficultés financières seraient moindres, dans les premières années suivant l'obtention du diplôme, que dans le cas des prêts ordinaires à paiements fixes; de plus, une interruption dans l'emploi n'entraînerait pas une carence de paiement. La deuxième, c'est que, au moins dans les régimes où le remboursement se fait par l'entremise du fisc, les emprunteurs ne pourraient éviter de payer de leur prêt étudiant tant qu'ils paieraient des impôts; l'emprunteur devrait frauder le fisc pour se soustraire à ses remboursements de prêt (soit en ne déclarant pas la totalité de ses revenus, soit en évitant de faire une déclaration), et il est difficile d'échapper à l'impôt. La loi autorisant le gouvernement fédéral à faire directement des prêts aux étudiants a été adoptée en août 1993 (celle qui prévoit l'établissement du programme de service national l'a été en septembre 1993)(5). La proposition initiale, qui aurait complètement écarté les prêteurs du secteur privé du programme fédéral de prêts aux étudiants, a été profondément remaniée. Par suite d'un compromis trouvé à l'étape de la commission, le régime de prêts directs du gouvernement sera implanté progressivement. Aux termes de la loi, les prêts directs représenteront 5 p. 100 du volume total des nouveaux prêts aux étudiants pendant l'année universitaire 1994-1995; la proportion passera à au moins 60 p. 100 d'ici à l'année 1998-1999. Sitôt la loi adoptée, un groupe de travail a été mis sur pied pour faciliter la transition vers le régime de prêts directs et pour préciser les détails de la formule des prêts à remboursement fondé sur le revenu. À la mi-novembre 1993, 105 établissements avaient été choisis pour prendre part dès la première année au régime de prêts directs. Il reste à définir le rôle du Internal Revenue Service dans la perception des remboursements. Exception faite des expériences tentées par quelques établissements privés et d'un projet-pilote récent financé par le gouvernement et auquel ont participé dix établissements, les États-Unis n'ont guère d'expérience dans les prêts étudiants à remboursement fondé sur le revenu. Depuis 1989, l'Australie a son programme de contribution aux études supérieures (Higher Education Contribution Scheme - HECS), proposé à tous ceux qui font des études supérieures et lié au régime fiscal. Dans le cadre du HECS, les étudiants australiens doivent normalement contribuer à leurs études supérieures. En 1989, la contribution pour «chaque année d'études équivalant à du plein temps» était établie à 1 800 $ AUS (le dollar australien valait alors 0,94 $ CAN environ), et le coût des études était d'environ 9 000 $ AUS. L'étudiant pouvait verser une contribution en début d'année et ainsi obtenir un escompte de 15 p. 100. L'étudiant pouvait aussi reporter le remboursement jusqu'à ce que son revenu atteigne un certain seuil, et ce remboursement était calculé selon un certain pourcentage du revenu. (À strictement parler, l'étudiant n'a pas besoin d'obtenir son diplôme pour commencer à rembourser la contribution; les étudiants qui échouent doivent tout de même rembourser, et ils le font dès que leur revenu dépasse le seuil établi.) Le remboursement se fait par l'entremise du système fiscal australien. En 1989, la dette accumulée dans le cadre du HECS devait être remboursée de la manière suivante:
Les seuils sont indexés chaque année en fonction de l'augmentation du coût de la vie. Il est possible de faire des paiements supplémentaires à tout moment pour réduire la dette accumulée dans le cadre du HECS. Le recours à un prêt dans le cadre du HECS est plus ou moins intéressant selon le rythme auquel l'étudiant prévoit rembourser. Le taux d'intérêt implicite sur un tel prêt comprend un facteur qui tient compte de l'inflation, couvert par l'indexation du prêt, et un facteur réel, qui est une fonction de l'escompte de 15 p. 100 sur le paiement immédiat de la contribution et le nombre d'années nécessaires pour rembourser le prêt. Plus le prêt est remboursé rapidement, plus le taux d'intérêt implicite est élevé (et plus est forte l'incitation à opter pour une autre source de financement pour obtenir l'escompte de 15 p. 100). Malheureusement, le régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu n'est pas en place depuis assez longtemps pour qu'on puisse avoir des données sur certains aspects, notamment le taux de non-remboursement. En 1992, le gouvernement a annoncé un régime qui remplacerait certaines subventions par des prêts sans intérêts, ce qui a provoqué de violentes protestations de la part des étudiants. En 1992, le gouvernement néo-zélandais a établi un régime de prêts étudiants qui permet aux citoyens ou aux résidents permanents qui suivent des cours approuvés et ont des résultats acceptables d'emprunter au gouvernement. L'admissibilité ne dépend ni de l'âge, ni de la capacité de payer, ni du crédit, ni du revenu des parents ou du conjoint; mais, selon la loi néo-zélandaise, un failli ne peut contracter d'emprunts. Par conséquent, une personne qui a déclaré faillite ne peut obtenir un prêt étudiant. Le maximum offert en 1992 à n'importe quel étudiant, dans le cadre de ce régime, était égal aux frais d'inscription obligatoires, plus les frais de cours jusqu'à concurrence de 1 000 $ NZ (un dollar néo-zélandais vaut actuellement environ 0,64 $ CAN), une allocation de subsistance d'un maximum de 4 500 $ et des frais d'administration de 50 $. Dans une brochure du ministère de l'Éducation, on utilise, à titre d'exemple, un montant de 1 000 $ pour les frais obligatoires; dans ces conditions, le maximum normal du prêt annuel serait de 6 550 $. Le gouvernement, par l'entremise d'un gestionnaire des prêts étudiants, établit un compte de prêt pour chaque étudiant, qui peut y puiser jusqu'à concurrence du maximum autorisé. Voici un résumé des conditions contractuelles (extrait d'une brochure du ministère néo-zélandais de l'Éducation, 1992 Student Loan Scheme):
Comme c'est le cas dans le régime australien et les propositions américaines récentes, le remboursement des prêts de ceux qui ont terminé leurs études se faits par l'entremise du percepteur des impôts (le Inland Revenue Department). Pendant qu'il poursuit ses études, l'étudiant peut faire des paiements au gestionnaire des prêts étudiants et ainsi réduire le principal à rembourser plus tard par le truchement du système fiscal. La brochure donne plusieurs exemples de remboursements de prêts à des niveaux de revenu différents. Le taux de remboursement est de 10 p. 100 du revenu, au-delà du seuil fixé; en raison même de ce seuil, le pourcentage réel du revenu total qui sert au remboursement du prêt étudiant augmente avec le revenu. Voici les quatre niveaux de revenu utilisés dans la brochure, le pourcentage du revenu total qui sert au remboursement étant indiqué entre parenthèses: 15 000 $ (1,6 p. 100), 20 000 $ (3,7 p. 100), 40 000 $ (6,8 p. 100) et 60 000 $ (7,9 p. 100). Selon un représentant du haut-commissariat de la Nouvelle-Zélande à Ottawa, le salaire moyen, en Nouvelle-Zélande, est d'environ 30 000 $; à ce niveau de revenu, le remboursement absorbe 5,8 p. 100 du revenu total. Le gouvernement s'est réservé le droit de revoir le pourcentage de remboursement. Au taux actuel de 10 p. 100, on estime, selon la brochure, que la majorité des prêts seront remboursés en 15 ans au plus. Tout comme dans le cas de l'Australie, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l'expérience néo-zélandaise des prêts étudiants à remboursement fondé sur le revenu. LE
CANADA ET LES PRÊTS ÉTUDIANTS À REMBOURSEMENT Le gouvernement du Canada, par l'entremise du ministère du Développement des ressources humaines (autrefois le Secrétariat d'État), offre le Programme canadien de prêts aux étudiants (PCPÉ) pour rendre les études supérieures plus accessibles aux personnes dans le besoin. Le Québec et les Territoires du Nord-Ouest ont leurs programmes propres(6). Le PCPÉ, qui est le plus important programme fédéral d'aide aux étudiants, a été mis sur pied en 1964. Il garantit les prêts consentis par les établissements financiers privés, subventionne les intérêts pendant la durée des études et peut parfois accorder une aide au titre des frais d'intérêt aux emprunteurs qui sont incapables de rembourser leur prêt sans de grandes difficultés financières. Les prêts consentis dans le cadre du PCPÉ ne sont pas censés couvrir tous les frais des études supérieures. En 1991-1992, 247 044 étudiants à temps plein ont négocié des prêts dans le cadre du PCPÉ pour une valeur totale de 742 millions de dollars; la valeur moyenne du prêt, pour un étudiant à temps plein, était de 3 003 $. Les cinq plus grandes banques canadiennes ont consenti 93 p. 100 de tous les prêts. Le PCPÉ a suscité de grandes préoccupations, notamment en ce qui concerne les obligations du gouvernement à l'égard du non-remboursement, et on s'efforce en ce moment de modifier le programme. Selon un observateur, le Secrétariat d'État «estime que les montants versés aux banques pour non-remboursement se sont établis en moyenne à 5,2 p. 100 par année des prêts en cours»(7). Par contre, le vérificateur général du Canada estimait, dans son rapport de 1992, que le taux de réclamation, dans le PCPÉ, est de 13,8 p. 100. Il calcule ce taux en ajoutant aux demandes de remboursement nettes les frais de recouvrement et en tant que le pourcentage du total des prêts accordés depuis le début du programme, mais ne tient compte des recouvrements ultérieurs, ce qui ferait diminuer le taux de près de la moitié. Depuis le début du programme, on estime que les prêts ont totalisé 7,6 milliards de dollars. Le ministère prévoit que les prêts des cinq prochaines années s'élèveront à quatre milliards de dollars. Passer à un régime à remboursement fondé sur le revenu serait de toute évidence une profonde réorientation de l'aide fédérale aux étudiants. Si le nouveau programme n'était pas assorti de critères d'admissibilité, le gouvernement devrait probablement trouver plus de quatre milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Si ce programme de prêts devenait une importante source de financement universitaire plutôt que d'être un complément des autres sources de financement, les coûts seraient encore plus élevés pour le gouvernement canadien. Ces coûts pourraient se situer, pendant les premières années du programme, entre un et deux milliards de dollars par année. Avec le temps, le programme ferait ses frais, mais il risquerait d'être un poids constant pour le Trésor public si seulement ceux qui s'attendent à des gains faibles contractaient des prêts ou s'il y avait une forte hausse des taux d'intérêt de manière que la proportion fixe du revenu du diplômé deviendrait insuffisante pour rembourser le prêt et les intérêts courus. Toute tentative pour confier à Revenu Canada la tâche de recouvrer les remboursements supposerait une modification radicale du programme des prêts aux étudiants et du mode de fonctionnement de ce service ministériel. Les déclarations de revenus se compliqueraient davantage et Revenu Canada aurait des coûts à subir dans l'immédiat. Il est vrai que ces coûts seraient peut-être compensés, et plus d'une fois, par l'abaissement du taux de non-paiement sur les prêts étudiants. Il n'est possible d'estimer avec précision ni les coûts ni les avantages à cet égard. Une manière de savoir dans quelle mesure un régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu serait pratique est peut-être de calculer la proportion du revenu qui servirait à rembourser le prêt si le régime devait s'autofinancer. C'est précisément l'approche adoptée dans un article récent sur ce type de prêt aux étudiants aux États-Unis. Les auteurs écrivent: «Si nous supposons qu'un étudiant emprunte 25 000 $, l'impôt supplémentaire à payer pour rembourser le prêt serait de 17,75 p. 100 sur 10 ans ou de 7 p. 100 sur 25 ans, à supposer encore qu'il n'y ait pas sélection inverse»(8). Cet «impôt supplémentaire» est la proportion du revenu utilisée pour rembourser le prêt (le x de l'équation donnée plus haut); si l'on veut que cet impôt soit comparable aux taux d'impôt ordinaire, il faut que l'assiette de l'impôt servant au remboursement soit le revenu imposable de l'emprunteur. Par conséquent, l'utilisation du régime fiscal aux fins de la politique sociale aura une incidence sur le remboursement de ces prêts (et peut-être aussi sur le calcul de la valeur x dans les années ultérieures). Dans leur article, Krueger et Bowen signalent aussi que le taux d'impôt supplémentaire serait plus élevé pour les femmes s'il est tenu compte dans le régime que les femmes ont toujours, par le passé, eu des gains inférieurs après l'obtention de leur diplôme. Le chiffre de 7 p. 100 sur 25 ans pour rembourser un prêt de 25 000 $ est établi sur les gains moyens pour les hommes et les femmes; si le calcul se faisait à partir des gains moyens des femmes, le taux d'impôt supplémentaire passerait dans leur cas à 12,5 p. 100; dans le cas des hommes, il baisserait à 5,75 p. 100. Là non plus, il n'y a aucun rajustement pour antisélection. Krueger et Bowen ajoutent cependant que, à cause de l'antisélection, le participant moyen aurait probablement des gains inférieurs à ceux de l'étudiant admissible moyen. Ils ont rajusté leurs calculs en prenant comme hypothèse que le participant moyen au régime aurait des gains égaux à ceux d'un travailleur se situant au 25e percentile dans la distribution des gains. Les résultats sont renversants, surtout lorsqu'on fait une distinction entre les hommes et les femmes. Si les deux groupes sont confondus, le taux d'impôt supplémentaire passe à 21 p. 100 pour un prêt de 25 000 $ à rembourser sur 25 ans (44,25 p. 100 si le remboursement s'échelonne sur 10 ans); si les groupes sont divisés, au contraire, le taux serait de 10,75 p. 100 pour les hommes et celui des femmes serait atterrant, à 68,5 p. 100. Plusieurs observations s'imposent. Tout d'abord, il faut remarquer qu'il s'agit d'un taux supplémentaire d'impôt qu'il faut ajouter au taux ordinaire pour calculer la charge fiscale totale de celui qui a fait un emprunt à remboursement fondé sur le revenu. Les femmes qui empruntent, à supposer que les calculs de Krueger et Bowen soient raisonnablement justes, pourraient se retrouver avec un taux marginal d'imposition globale supérieur à 100 p. 100. Il est certain que cela inciterait les femmes à ne pas entrer sur le marché du travail. Évidemment, la question de la légalité de taux de remboursement différents pour les hommes et les femmes se pose. Il est certain que cela serait difficilement acceptable sur le plan politique, et il est possible que ce soit inconstitutionnel: à première vue, des taux différents iraient à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui interdit la discrimination fondée sur le sexe, bien qu'on puisse soutenir au contraire que, aux termes de l'article 1 de la Charte, il y a de bonnes raisons d'ordre économique pour que les taux soient différents. Il ne fait aucun doute que, si un régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu prévoyant des taux différents pour les hommes et les femmes était proposé, il y aurait contestation judiciaire. Si la dualité de taux entre hommes et femmes était jugée inconstitutionnelle, le régime pourrait encore se heurter au problème de la sélection inverse. Qui plus est, le problème risquerait d'être exacerbé si les prêteurs du secteur privé proposaient des prêts aux étudiants qui ont des chances d'avoir des revenus supérieurs à la moyenne. Si le régime de prêts à remboursement fondé sur le revenu devenait une source de financement pour les étudiants qui auront vraisemblablement des revenus relativement faibles, le gouvernement pourrait se retrouver dans l'obligation de subventionner largement le régime (ou de fixer de forts taux d'impôt supplémentaire pour ceux qui y ont recours). Compte tenu des actuelles difficultés financières de tous les échelons de gouvernement, ce serait un autre problème encore que de trouver le financement initial pour un régime de cette nature. Il y a de toute évidence de nombreuses variantes de prêts étudiants à remboursement fondé sur le revenu, mais toutes ont en commun l'élément fondamental établi par Friedman en 1955, soit le remboursement fondé sur une certaine proportion du revenu futur de l'étudiant. Les premiers qui ont préconisé ce régime y voyaient un moyen de réduire le rôle du gouvernement dans l'éducation supérieure. Néanmoins, les régimes qui s'appliquent à présent en Australie et en Nouvelle-Zélande comportent des prêts directs du gouvernement et le recours au fisc pour percevoir les paiements. Le régime qui est sur le point d'être mis en place aux États-Unis suppose des prêts directs du gouvernement, mais le rôle du régime fiscal dans le programme n'a pas encore été arrêté. Malheureusement, aucun des régimes en vigueur ne s'applique depuis assez longtemps pour qu'on ait des données utiles sur les avantages de cette forme de prêt. En principe, ces prêts comportent de nombreux avantages. Ils évitent d'imposer aux nouveaux diplômés de lourdes charges financières en leur permettant en fait de vendre des actions sur leur personne (le rendement de ces actions variant selon le revenu futur) plutôt que de financer leurs études avec des prêts à intérêt fixe. De la sorte, le remboursement de ces prêts varie en fonction du rendement de l'investissement dans les études. L'adoption de ce nouveau type de régime au Canada aurait cependant des conséquences immédiates sur les besoins financiers du gouvernement. Les subventions annuelles au régime pourraient être considérables si la sélection inverse devenait un phénomène d'importance. En outre, les tentatives pour éviter une telle sélection risquent de se heurter à des contestations fondées sur la Constitution.
(1) Cet essai constituait un chapitre de l'ouvrage de Robert A. Solo (éd.), Economics and the Public Interest, Rutgers University Press, 1955, et, dans une version révisée, un chapitre du livre de Friedman lui-même, intitulé Capitalism and Freedom, University of Chicago Press, 1962. (2) Milton Friedman et Simon Kuznets, Income From Independent Professional Practice, New York, National Bureau of Economic Research, 1945, p. 90 et 20. (3) D. Bruce Johnstone, New Patterns for College Lending: Income Contingent Loans, New York, Columbia University Press, 1972. (4) Vu le regain d'intérêt récent, aux États-Unis, pour les prêts à remboursement fondé sur le revenu, le directeur de l'aide financière de l'Université Yale a rédigé une note en 1988 (mise à jour en 1993) pour expliquer l'expérience de son université. L'information sur Yale qui figure dans ces pages est tirée de cette note et d'une annexe du livre de Johnstone cité plus haut. (5) La Student Loan Reform Act of 1993 a été adoptée en août 1993 dans le cadre de la Omnibus Budget Reconciliation Act of 1993. La National and Community Trust Act of 1993 a été adoptée en septembre 1993. (6) Voici deux documents utiles concernant cette partie de l'étude : Marc Leman, L'enseignement postsecondaire : le rôle du gouvernement fédéral, Bibliothèque du Parlement, étude générale, BP-140F, février 1986, et Odette Madore, L'enseignement postsecondaire : une nécessité absolue pour l'avenir du Canada, Bibliothèque du Parlement, étude générale, BP-319F, novembre 1992. (7) Globe and Mail (Toronto), 11 mars 1993 (traduction). (8) Alan B. Krueger et William G. Bowen, «Income-Contingent College Loans», in Journal of Economic Perspectives, volume 7, numéro 3 (été 1993), p. 193-201 (traduction). Cet article constitue une introduction utile aux prêts à remboursement fondé sur le revenu. |