PRB 98-9F

COLLOQUE PARLEMENTAIRE
CANADA-CONSEIL DE L'EUROPE, OCTOBRE 1998

« AU-DELÀ DE L'ALÉNA VERS UN MARCHÉ
TRANSATLANTIQUE CANADA-EUROPE »

Rédaction :
Peter Berg, Division de l'économie
Gerald Schmitz, Division des affaires politiques et sociales
Novembre 1998


 

TABLE DES MATIÈRES

 

PRÉFACE — L’ALÉNA ET L’UNION EUROPÉENNE

RÉSUMÉ DES POINTS SAILLANTS DU COLLOQUE PARLEMENTAIRE
CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE — OCTOBRE 1998

INTRODUCTION

Séance du 19 octobre

EXPÉRIENCE DU CANADA DANS L’ALÉNA (PREMIER JOUR)

Panel no 1 — «Questions commerciales et mécanismes de règlement des différends»
Panel no 2 — « Le travail et l’environnement sous le régime de l’ALÉNA »
Panel no 3 — « Aspects sociaux et culturels de l’ALÉNA »

Séances du 20 octobre

LE CANADA ET L’UE : VERS UN MARCHÉ TRANSATLANTIQUE
(DEUXIÈME JOUR)

Séance no 1 — « Faits saillants des relations commerciales et économiques Canada-Europe »
Séance no 2 — « Perspectives sectorielles et domaines où des accords bilatéraux sont possibles »
Séance de clôture — « Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe »

ANNEXE — PROGRAMME
COLLOQUE PARLEMENTAIRE CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE

NOTES DE SYNTHÈSE POUR LE COLLOQUE PARLEMENTAIRE
CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE - OCTOBRE 1998

INTRODUCTION

PREMIER JOUR : L’EXPÉRIENCE DU CANADA DANS L’ALÉNA
(Les notes de synthèse nos 1 à 7 sont de Gerald Schmitz)

PANEL No 1 — QUESTIONS COMMERCIALES ET MÉCANISMES
DE RÉSOLUTION DES DIFFÉRENDS

NOTE No 1 : L’ALÉNA — ORIGINES, ÉLÉMENTS CLÉS ET ÉVOLUTION

Origine
Éléments clés
Évolution

ANNEXE 1 : LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE L’ALÉNA
ANNEXE 2 : ORGANISMES INTERGOUVERNEMENTAUX DE L’ALÉNA

NOTE No 2 : LES MÉCANISMES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
DE L’ALÉNA : STRUCTURE ET RÉSULTATS

Le fonctionnement des institutions de règlement des différends
Les résultats du règlement des différends, selon le Canada

ANNEXE : Différends entre le Canada et les É.-U. en vertu du chapitre

PANEL No 2 : LES COMMISSIONS DE L’ALÉNA : ENVIRONNEMENT ET TRAVAIL

NOTE No 3 : MANDAT ET ÉVOLUTION DES COMMISSIONS  SPÉCIALISÉES
DE L’ALÉNA

L’ANACE et la Commission de coopération environnementale
L’ANACT et la Commission de coopération dans le domaine du travail
Évaluation des accords parallèles et des commissions de mise en oeuvre

NOTE No 4 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES

L’ALÉNA, un accord « vert »?
Les résultats environnementaux des institutions de l’ALÉNA
La controverse sur les dispositions de l’ALÉNA en matière d’investissement

NOTE No 5 : L’ALÉNA ET LE DOMAINE DU TRAVAIL

Les résultats des institutions de l’ALÉNA
L’incidence de l’ALÉNA dans le domaine du travail

ANNEXE : PRINCIPES DE L’ANACT RELATIFS À LA MAIN-D’OEUVRE

PANEL No 3 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS SOCIALES ET CULTURELLES

NOTE No 6 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS SOCIALES

Une « charte sociale » pour contrer le  « dumping social »?
Les répercussions de l’ALÉNA sur les politiques et les programmes sociaux

NOTE No 7 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS CULTURELLES

L’« exemption culturelle » contenue dans l’ALÉ et dans l’ALÉNA
Protéger et répandre la culture au-delà de l’ALÉNA

DEUXIÈME JOUR : LE CANADA ET L’UNION EUROPÉENNE : VERS UN MARCHÉ
TRANSATLANTIQUE
(Les notes de synthèse no 8 et no 9 sont de Peter Berg)

SÉANCE No 1 : LE COMMERCE BILATÉRAL CANADA-EUROPE ET
LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES — POINTS SAILLANTS

DOCUMENTATION

Ministère des Affaires étrangères — Feuillet d’information et aperçu concernant les relations commerciales et économiques entre le Canada et l’Union européenne de 1976 à 1997

Déclaration conjointe sur les relations Canada-UE (décembre 1996) et communiqué de presse du Premier ministre sur le sommet Canada-UE de mai 1998

Chapitre de David Long sur les relations Canada-UE dans les années 90 tiré de Canada Among the Nations 1998 (   http:www.dfait-maeci.gc.ca)

SÉANCE No 2 : QUESTIONS ET SECTEURS SECTORIELS EN VUE
D’UNE FUTURE ENTENTE BILATÉRALE

NOTE No 8 : APERÇU DES IRRITANTS COMMERCIAUX
DU CANADA AVEC L’UNION EUROPÉENNE

Introduction
Agriculture
Poisson
Mines
Produits forestiers

SÉANCE No 3 : AU-DELÀ DE L’ALÉNA VERS UN MARCHÉ
TRANSATLANTIQUE CANADA-EUROPE

NOTE No 9 : POUR RENFORCER LA RELATION COMMERCIALE TRANSATLANTIQUE

Introduction
Forger des liens bilatéraux
Le libre-échange transatlantique : une option réaliste?

ANNEXE 1 : EXTRAITS D’UN RAPPORT DU PARLEMENT EUROPÉEN
RÉSOLUTION SUR LES RELATIONS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CANADA

ANNEXE 2 : MEMBRES DES PRINCIPALES ORGANISATIONS EUROPÉENNES
ET TRANSATLANTIQUES


COLLOQUE PARLEMENTAIRE
CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE

« AU-DELÀ DE L’ALÉNA VERS UN MARCHÉ
TRANSATLANTIQUE CANADA-EUROPE »

 

PRÉFACE L’ALÉNA ET L’UNION EUROPÉENNE

Dans un monde d’activité économique de plus en plus internationalisée et de prolifération d’accords commerciaux régionaux, les deux blocs d’intégration économique qui se distinguent clairement de par leur taille et leur importance sont la Communauté économique européenne et la zone créée par l’Accord de libre-échange nord-américain. Avec une population totale de plus de 370 millions d’habitants et un PIB global proche de 9 billions de dollars US, les 15 pays membres de l’Union européenne constituent déjà un énorme marché intérieur, et ce marché connaîtra une expansion considérable avec l’élargissement prévu de l’UE à plus de 20 pays. L’UE est aussi la plus grosse zone mondiale d’exportation de biens et de services, et le deuxième marché d’importation. Les trois pays signataires de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) – le Canada, les États-Unis et le Mexique – ne constituent pas un marché unique et nient toute velléité d’intégration politique. La zone de l’ALÉNA est pourtant de plus en plus intégrée sur le plan de l’activité commerciale, ce qui a une incidence sur les politiques intérieures, notamment dans les domaines délicats de la réglementation environnementale, sociale et culturelle. La zone de l’ALÉNA est aussi une entité puissante à l’échelle internationale, était donné la taille de son marché : près de 400 millions d’habitants, un PIB de plus de 11 billions  de dollars US et des échanges commerciaux internes de 500 milliards de dollars US. Et il se peut aussi que l’ALÉNA s’élargisse pour intégrer d’autres pays.

Les politiques de l’UE et de l’ALÉNA exercent une très forte influence sur l’évolution du régime global de commerce et d’investissement, et c’est pourquoi il est tellement important qu’elles soient compatibles avec les principes et règles multilatéraux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le protectionnisme régional engendrerait une concurrence dommageable. Il est donc extrêmement important de bien entretenir la relation entre les deux blocs. Jusqu’à présent, cependant, du côté nord-américain, la relation économique avec l’Europe a évolué essentiellement en suivant des voies bilatérales. Le Canada et les États-Unis ont tous deux des accords-cadres exhaustifs et récemment mis à jour avec l’UE; pour ce qui est du Mexique, il négocie actuellement son propre accord commercial bilatéral avec l’UE. D’aucuns craignent au Canada que ce bilatéralisme ne devienne excessivement dominé par les priorités UE-EU, ce qui marginaliserait les intérêts et valeurs canadiens. On en a conclu que les deux parties, nord-américaine et européenne, devraient donc avoir une optique transatlantique plus large.

Quels que soient les mérites de cette thèse, il semble que, tout comme les Canadiens ont intérêt à comprendre les ramifications des développements économiques en Europe, les Européens ont intérêt à comprendre la position du Canada — tant du point de vue des développements en Amérique du Nord que de la poursuite d’objectifs transatlantiques. Voilà pourquoi un colloque parlementaire Canada-Conseil de l’Europe s’est tenu en octobre 1998 sur le thème « Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe ». Dans la partie qui suit, nous donnons un résumé des points saillants de ce colloque.

RÉSUMÉ DES POINTS SAILLANTS DU COLLOQUE PARLEMENTIARE
CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE, OCTOBRE 1998

INTRODUCTION

Les 19 et 20 octobre 1998, le Parlement canadien a tenu un colloque sur le thème suivant : « Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe ». Le colloque était parrainé conjointement par l’Association parlementaire Canada-Europe et la Sous-commission des relations économiques internationales de la Commission du développement et des affaires économiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le Conseil, établi à Strasbourg en France, est le plus ancien organisme européen voué à la solidarité démocratique et sociale; il va fêter en 1999 le 50e anniversaire de sa fondation. Au sein de son Assemblée, des parlementaires des 40 États membres — dont les 15 États de l’Union européenne (UE) et la plupart des pays de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est, y compris la Russie — participent à ses sessions trimestrielles, aux activités de ses commissions et aux activités connexes de groupe sur des questions politiques. Depuis mai 1997, les parlementaires canadiens ont le statut d’observateur à l’Assemblée et ils s’en sont servi pour étendre le champ de leur participation et pour accentuer leurs rapports de longue date avec sa commission des affaires économiques.

L’idée d’un colloque à Ottawa a d’abord été discutée avec la nouvelle présidente de cette commission, Mme Helle Degn, à l’occasion de la session de janvier 1998 de l’Assemblée. Leurs homologues européens ayant exprimé le désir d’en apprendre plus long sur la zone nord-américaine de libre-échange vue du Canada, les parlementaires canadiens ont manifesté un intérêt réciproque en proposant d’aller au-delà de l’ALÉNA pour explorer d’autres perspectives et options, en particulier la possibilité d’aboutir à un accord économique transatlantique plus étendu, susceptible de mettre en rapport les blocs régionaux de plus en plus intégrés que sont l’Amérique du Nord et l’Europe, et de leur profiter mutuellement. Les questions soulevées au colloque, en particulier à la séance de clôture où l’on s’est penché sur les liens possibles à établir entre les visions canadienne et européenne, étant donné des plans de mondialisation, d’interrégionalisation et de continentalisation du commerce complexes et en pleine évolution, sont de plus en plus pertinentes depuis l’accord conclu entre les États-Unis et l’UE en novembre 1998 sur un plan d’action pour un « Partenariat économique transatlantique ». Le sommet Canada-UE du 17 décembre 1998 a lancé une nouvelle initiative commerciale UE-Canada mais sans fournir de détails. Dans de telles circonstances, quelle est la meilleure façon pour le Canada d’améliorer sa situation aux côtés de ses partenaires de l’ALÉNA tout en resserrant ses liens avec ses partenaires européens?

Les quatorze pénalistes qui ont été entendus pendant les deux journées du colloque (voir l’annexe 1 pour connaître l’ordre du jour officiel) ont contribué de diverses façons à la formulation d’une réponse éclairée à la question. Mais le débat a aussi permis de constater qu’il ne sera pas aisé de veiller à la protection des intérêts du Canada et à leur promotion dans le contexte de l’intégration régionale et des négociations commerciales, compte tenu de l’autre dynamique puissante qui est le moteur d’un engagement accru entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

La première journée du colloque a été consacrée à l’évaluation de la participation du Canada à l’ALÉNA; plus précisément, trois panels se sont concentrés chacun sur une des questions suivantes : la performance commerciale et le règlement des différends, les mécanismes et effets dans les domaiens de l’environnement et du travail, les dimensions culturelles et sociales. Dans chaque cas, il y a trois exposés liminaires suivis d’une période de questions et d’une discussion très animée. Au déjeuner, le ministre des Transports, l’hon. David Collenette, s’est adressé aux participants. Le deuxième jour, on a étudié les possibilités pour le Canada et l’Europe d’établir un marché transatlantique. Le matin, il y a eu deux séances au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour étudier les relations commerciales et économiques Canada-UE, en particulier certaiens questions sectorielles et les domaines de coopération bilatérale future. De plus, le ministre de l’Industrie, l’hon. John Manley, a prononcé une allocution sur ce thème au déjeuner. La séance de clôture a tenté de tirer des conclusions générales susceptibles de servir de base à la promotion d’une politique orientée vers un resserrement et un approfondissement d’un partenariat commercial entre le Canada et l’Europe qui va consolider le pont transatlantique à une époque de grande transition et d’incertitude sur le plan international.

Vous trouverez ci-après une brève synthèse des six ateliers qui ont eu lieu au cours des deux journées du colloque (une transcription révisée des délibérations intégrales sera disponible). Nous avons tenté de focaliser sur les idées qui sont les plus intéressantes au sens où elles favorisent une politique progressiste du Canada dans le contexte de l’ALÉNA et, au-delà, un lien transatlantique plus fort avec l’Europe, qui tienne compte des problèmes mondiaux accentués qui affligent les pays des deux régions.

Séances du 19 octobre :

EXPÉRIENCE DU CANADA DANS L’ALÉNA (PREMIER JOUR)

Panel n°1 « Questions commerciales et mécanismes de règlement des différends »

Panélistes :

M. Michael Hart
Associé principal, Centre de droit et politique commerciale
Université Carleton et Université d’Ottawa

Mme Sally Rutherford
Directrice générale
Fédération canadienne de l’agriculture

M. Gordon Ritchie
Associé, Strategico Inc.
Ancien négociateur commercial principal du Canada

M. Michael Hart qui, comme M. Gordon Ritchie, un autre panéliste, a participé intimement à la négociation de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ) il y a plus de dix ans, commence son exposé en soulignant l’importance d’un mécanisme efficace pour le règlement des différends; ce doit être un impératif de la politique commerciale canadienne pour les accords non seulement bilatéraux mais aussi multilatéraux. Les efforts se poursuivent pour renforcer de tels mécanismes basés sur des règles, afin de surmonter les obstacles de « l’intégration profonde ». Il ne suffit pas d’abaisser les barrières commerciales et de faciliter le commerce transfrontière; les gouvernements doivent aussi trouver de meilleurs moyens de gérer les relations entre eux et de concilier les divers intérêts des entreprises, des consommateurs et de la société.

Bien qu’il demeure extrêmement difficile d’amener les législateurs américains à accepter des procédures internationales contraignantes, M. Hart soutient que l’ALÉ et l’ALÉNA ont permis de faire bien des progrès grâce au « chapitre 19 » qui crée un système innovateur de groupes spéciaux binationaux, institué sous le régime de l’ALÉ et conservé dans l’ALÉNA, pour régler les problèmes de droits antidumping (AD) et de droits compensateurs (DC), qui surviennent entre les deux pays. Parmi les 35 cas réglés sous le régime de l’ALÉ, l’affaire interminable du bois d’oeuvre résineux est la seule grande cause qui n’a pas pu être réglée. De plus, au lieu de parler de « gagnants » et de « perdants », M. Hart estime que lorsque le règlement des différends se fait comme il faut, le système est plus honnête et, de surcroît, il « a le merveilleux avantage d’amener les gouvernements à rejeter les politiques plutôt insensées ».

En vertu de l’ALÉNA, seulement 12 des 21 nouvelles causes présentées sous le régime du chapitre 19 et une seule (au sujet de la gestion de l’offre des produits agricoles) sous le régime du chapitre 20 (qui prévoit la procédure générale de règlement des différends) concernent le Canada. Le système binational pourrait être mis à l’épreuve plus souvent si la situation économique venait à se détériorer. De même, le monde profite nettement du système de règlement des différends plus rigoureux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mis sur pied en 1995 (148 consultations concernant 112 cas, et 20 décisions finales des groupes spéciaux jusqu’à présent), un régime qui, somme toute, est « meilleur que celui de l’ALÉNA ». Selon M. Hart, le système de règlement des différends commerciaux marche bien, mais il continue d’évoluer et il sera amélioré par les négociations futures entre les gouvernements membres. À mesure que les causes se multiplient et que les problèmes se compliquent, on peut aussi apprendre beaucoup de l’Union européenne (UE) qui a un tribunal permanent apte à offrir une plus grande stabilité et une meilleure crédibilité que les groupes spéciaux ponctuels de l’ALÉNA.

Mme Sally Rutherford souscrit à l’opinion que, de façon générale, les mécanismes de règlement des différends ont bien servi le Canada, notamment dans des secteurs comme l’agriculture qui continue de faire l’objet d’attaques incessantes de l’autre côté de la frontière. Comme le système des groupes spéciaux constitue au moins une procédure plus rationnelle et moins soumise aux pressions politiques, il a « accru sensiblement la confiance de l’industrie à la fois dans le secteur primaire et dans le secteur de la transformation ». L’ALÉ a été une percée décisive à cet égard; l’ALÉNA n’a pas ajouté grand-chose.

Malgré ce progrès, Mme Rutherford donne des exemples tirés des annales récentes du commerce agricole entre le Canada et les États-Unis pour illustrer la façon dont les systèmes politique et administratif du droit commercial des deux côtés de la frontière s’opposent parfois. Non seulement de tels problèmes persistent, mais ils sont susceptibles de s’aggraver à mesure que la réglementation intergouvernementale va se compliquer et se multiplier à divers paliers — p. ex., des règles différentes s’appliquant à la dimension hygiénique ou biotechnologique des produits alimentaires aux niveaux subnational (étatique ou provincial), fédéral et, dans le cas de l’UE, supranational. L’ALÉNA a cherché à réduire le plus possible le harcèlement, mais lorsque les différends « vont au-delà des problèmes juridiques ou commerciaux traditionnels ou historiques, on ne sait pas encore comment ça s’intègre ». Les dépenses de plus en plus élevées constituent une autre difficulté pour les industries canadiennes touchées, puisque les groupes de pression américains sont capables de réunir la somme des ressources maintenant nécessaires pour défendre les causes complexes.

Le troisième panéliste, M. Gordon Ritchie, conseille la circonspection puisque, en pratique, le règlement des différends Canada-États-Unis a révélé de « graves problèmes » de fonctionnement. Il serait incorrect de porter un jugement sur le système en se basant sur son incapacité de régler le litige sur le bois d’oeuvre, mais cette affaire est pourtant révélatrice puisque c’est le différend commercial bilatéral le plus important, le plus ancien et celui qui continue de monopoliser l’attention. Malheureusement, les États-Unis persistent à refuser de démanteler leur système de recours commerciaux qui est inacceptable. En vertu des règles de l’ALÉ et de l’ALÉNA, ils sont au moins tenus d’appliquer équitablement leur propre droit. C’est une amélioration de taille, mais il faut s’attendre qu’ils se contenteront de restreindre les considérations d’intérêt national. Malgré les nouvelles règles de l’OMC, les pratiques nationales des États-Unis contredisent souvent leurs engagements internationaux. Dans le litige sur le bois d’oeuvre qui n’est toujours pas réglé, seule la chance a permis au Canada de remporter une décision cruciale d’un groupe spécial qui était divisée 3-2 selon la nationalité des membres, et les trèves protectionnistes ultérieures peuvent n’accorder au mieux qu’une solution temporaire. Pour de plus amples détails sur cette situation, voir la note n° 2 figurant dans la documentation produite par la Direction de la recherche parlementaire.

M. Ritchie a soulevé une deuxième grande question : une innovation de l’ALÉNA concernant les différends relatifs aux investissements, en particulier les dispositions permettant aux entreprises américaines d’entreprendre de leur propre chef, sans avoir besoin de l’approbation du gouvernement américain, une procédure arbitrale contre les autorités gouvernementales canadiennes en cas de violation de leurs droits sous le régime de l’ALÉNA. Le plus ironique, c’est qu’une entreprise étrangère active au Canada aurait alors un recours dont une entreprise canadienne ne pourrait pas se prévaloir. Plusieurs poursuites intentées récemment contre le Canada en invoquant les dispositions investisseur-État de l’ALÉNA ont soulevé la controverse, surtout que des dispositions tout aussi mauvaises « ont été subrepticement incorporées dans les projets d’accords prétendument multilatéraux sur l’investissement ». (Pour de plus amples détails sur cette situation et son rapport avec les négociations avortées de l’AMI, voir la note n° 4.)

M. Terry Davis (Royaume-Uni) entame la période de discussion en demandant si l’opinion publique était pour ou contre le libre-échange nord-américain. La coprésidente du panel, la sénatrice Sharon Carstairs, et d’autres parlementaires canadiens de divers partis qui sont présents expliquent que c’est une question politique qui a soulevé les passions et qui avait d’ailleurs été l’un des principaux enjeux de la campagne électorale de 1988 à l’issue de laquelle le gouvernement avait été réélu même si, d’après les sondages, la majorité, malgré d’importantes variations suivant les régions, s’opposait à l’ALÉ initial. Les syndicats de même que certaines provinces ont mené la charge contre les accords de libre-échange. (Le lecteur trouvera une histoire détaillée de cette opposition dans le livre de Jeffrey Ayres, Defying Conventional Wisdom : Political Movements and Popular Contention Against North American Free Trade, Toronto, University of Toronto Press, 1998.)

Au fil de la décennie, la position de la population sur le libre-échange semble s’être assouplie et être devenue généralement favorable. Cependant, M. Ritchie fait remarquer qu’au-delà de l’ALÉNA, certaines questions primordiales comme la culture et le commerce demeurent en suspens, notamment entre le Canada et les États-Unis. Anticipant sur la discussion prévue pour le panel de l’après-midi, il fait valoir que le Canada doit défendre avec beaucoup de fermeté ses valeurs nationales dans de tels secteurs. Le coprésident du panel, le député Bill Graham (président du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, qui va entreprendre en 1999 une grande étude sur les négociations commerciales mondiales possibles) a vivement insisté sur ce fossé culturel et sur la nécessité pour les Canadiens de coopérer avec leurs collègues européens pour trancher la question multilatéralement.

Se mêlant à la discussion, M. Hart souligne les nouveaux facteurs que fait intervenir la « nouvelle économie politique des négociations commerciales internationales » auxquelles les parties sont plus nombreuses que jamais. Non seulement les gouvernements et les intérêts commerciaux y participent, mais un éventail de plus en plus étendu d’acteurs sociaux s’y engagent, établissant ainsi un lien entre, d’une part, les priorités commerciales et les programmes d’investissement qui se développent et, d’autre part, les droits environnementaux, sociaux et fondamentaux et les autres objectifs normatifs. Ce qui est arrivé à l’AMI montre qu’il est désormais impossible de faire abstraction de ces préoccupations. Insistant sur ce point, Mme Durrieu (France) donne des détails sur les raisons pour lesquelles la France s’est retirée des pourparlers sur l’AMI qui auraient normalement dû reprendre le jour même à Paris.

Mme Rutherford fait remarquer avec intention que nous sommes entrés dans une ère de mondialisation où les grandes questions telles que la souveraineté, la gestion des affaires publiques et la cohérence des accords internationaux qui pullulent n’ont pas encore été tranchées et dont les conséquences restent mystérieuses. Résumant leurs vues sur les développements au-delà de l ’ALÉNA, les autres panélistes conviennent qu’il faudra encore surmonter d’importants obstacles politiques. M. Ritchie soulève la question d’une meilleure répartition des avantages de la libéralisation du commerce et aussi la perspective d’ajouter une « configuration nord-atlantique » au libre-échange nord-américain.

M. Hart envisage que les différends portant sur les problèmes bilatéraux comme le bois d’oeuvre se poursuivent, mais il croit à une interaction progressive des expériences et des regroupements grâce à une pluralité de tribunes de négociation régionales et multilatérales. Toutefois, il demeure sceptique au sujet de la possibilité d’arriver à une libéralisation considérable du commerce dans les contextes distincts du projet de « zone de libre-échange des Amériques », de l’APEC ou d’une éventuelle zone de libre-échange transatlantique (ZLÉTA). À son avis, une démarche vers un regroupement multilatéral (c.-à-d. renvoyer les affaires à l’OMC) est plus plausible, étant donné la logique même des grandes questions actuellement à l’étude.

Au sujet de l’avenir de la politique commerciale multilatérale, M. Hart conclut ainsi :

Les négociateurs sont habitués à négocier des tarifs, des contingents, des règles antidumping, etc. On fait maintenant pression sur eux pour qu’ils règlent par le biais des négociations commerciales les problèmes d’équité touchant la main-d’oeuvre, les droits fondamentaux et l’environnement. Il en est ainsi parce que c’est le régime de règles le mieux défini qui soit dans le monde en ce moment, là où on peut espérer faire appliquer les règles [...] [et celui qui] donne le scénario de négociation le plus complexe, exigeant de la part des spécialistes et des parlementaires une réflexion très minutieuse sur les détails de cette nouvelle ère de négociations commerciales.

Panel n°2 « Le travail et l’environnement sous le régime de l’ALÉNA »

Panélistes :

Mme Jeanine Ferretti
Directrice générale par intérim
Commission de coopération environnementale (CCE)

M. Peter Bakvis
Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Mme Michelle Swenarchuk
Association canadienne du droit de l’environnement (CELA)

Mme Jeanine Ferretti commence par expliquer les origines de la Commission, créée par les trois États membres de l’ALÉNA, après sa conclusion, en réaction aux craintes que l’Accord, bien qu'il renferme des dispositions « vertes », n’entraîne une détérioration de l’état de l’environnement, un affaiblissement de la réglementation environnementale et une érosion de la responsabilisation des gouvernements. L’accord « parallèle » concernant l’environnement, qui a créé la CCE, énonce trois grands objectifs : éviter les différends relatifs au travail et à l’environnement; appliquer efficacement les lois concernant l’environnement; régler les préoccupations environnementales communes. La CCE même est dotée d’une structure tripartite qui comprend un comité consultatif populaire unique. Tout en reconnaissant que la CCE ne fait pas l’unanimité chez les écologistes, Mme Ferretti décrit un programme de travail trilatéral militant dans des secteurs clés comme la pollution transfrontalière, les rapports commerce-environnement et l’application du droit de l’environnement.

Un des points faibles des institutions de l’ALÉNA, comme un examen du rendement a permis de le constater dernièrement, c’est que « jusqu’à présent, le programme commercial est appliqué en fonction d’intérêts et d’affaires bien différents de ceux du programme de la CCE ». Toutefois, la CCE possède des mécanismes innovateurs qui permettent aux simples citoyens de présenter des plaintes qui font l’objet d’une décision sur les faits. Selon Mme Ferretti, les trois gouvernements reconnaissent que la coopération environnementale a entraîné la réalisation de bien plus de choses que le seul règlement des questions de commerce et d’environnement, un champ complexe et controversé. À son avis, le défi le plus intéressant de la CCE, c’est le dernier lancé par une coalition d’organisations syndicales et écologistes canadiennes soutenant que la procédure d’arbitrage investisseur-État au chapitre 11 de l’ALÉNA compromet ses objectifs environnementaux. Ce geste a déclenché un examen interne des structures de la CCE et de l’ALÉNA et ce sera une cause type très importante qu’il faudra surveiller.

Au sujet de l’accord parallèle concernant le travail, M. Peter Bakvis expose plusieurs inquiétudes exprimées par le mouvement syndical lors des négociations de l’ALÉNA : les risques de perte d’emplois et de salaires, l’affaiblissement du code du travail et l’érosion des mesures de protection sociale. L’ALÉNA a été vivement critiqué parce qu’il ne renfermait aucune disposition mentionnant expressément les droits des travailleurs ou les normes sociales. Contrairement à ce qui se passe en Europe, l’ALÉNA proposait l’intégration à un pays industrialisé où le salaire moyen atteignait à peine 10 p. 100 du niveau établi au Canada. Les choses se sont améliorées après l’élection du gouvernement Clinton, puisqu’il y a eu conclusion d’un « accord parallèle » complémentaire sur la coopération dans le domaine du travail. Les États-Unis ont aussi implanté un programme d’aide à l’adaptation, même si aucun ne s’annonçait au Canada.

La commission nord-américaine du travail qui a été créée ressemble à son équivalent pour l’environnement en ce qu’elle a énoncé quelques principes louables. Pourtant, il lui manque un comité consultatif populaire et elle est incapable de soutenir la comparaison avec les structures européennes mises sur pied pour défendre les droits économiques et sociaux. Aucune norme commune n’a été établie et l’application des lois nationales en vigueur demeure particulièrement problématique au Mexique (où le pouvoir d’achat du salaire minimum a diminué de 30 p. 100 depuis 1994). M. Bakvis soutient aussi que la procédure des plaintes est restrictive et faible, puisque la violation de certains droits élémentaires — p. ex. liberté d’association, négociation collective — peut seulement faire l’objet de consultations entre les gouvernements des parties à l’ALÉNA. Par conséquent, il recommande de consolider ces structures en ajoutant l’obligation de respecter les droits primordiaux internationaux dans le domaine du travail (en particulier les sept conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail), en prévoyant des sanctions en cas de non-respect des obligations et en établissant des mécanismes de consultation permanents avec les représentants des ONG, des syndicats et du patronat.

Mme Michelle Swenarchuk ramène sur le tapis les effets sur l’environnement et sur la santé des dix années d’application de l’ALÉ et de l’ALÉNA. Ses pronostics ne sont pas optimistes à en juger d’après le récit qu’elle fait de la façon dont les traités commerciaux successifs, malgré une vive opposition populaire, ont en fait restreint les motifs de protection de l’intérêt public. Elle mentionne plusieurs causes litigieuses (notamment la contestation, avec succès, par le Canada des normes de l’UE interdisant les résidus d’hormones dans le boeuf et la poursuite remportée contre le Canada par Ethyl Corp., une société américaine, en vertu du chapitre de l’ALÉNA sur les investissements) pour illustrer comment, à son avis, on a laissé des intérêts commerciaux l’emporter sur d’autres valeurs d’ordre public dans la loi. « Nous avons vu croître le nombre de domaines légitimement réglementés où la déréglementation du commerce et les accords ont eu pour effet d’empêcher les gouvernements de prendre des mesures légitimes ».

Se servant de l’annonce par le premier ministre français, M. Jospin, que la France se retire des négociations sur l’AMI, Mme Swenarchuk fait remarquer la différence importante entre une délégation de souveraineté intergouvernementale dans le cadre bien établi de l’UE et la cession de la souveraineté à des intérêts commerciaux internationaux privés. Quant à la structure du régime du commerce international et des différends commerciaux, elle plaide pour une plus grande « transparence », y compris des droits d’accès publics, et aussi pour un contrôle et une responsabilisation parlementaires efficaces. Elle trouve encourageantes les possibilités d’alliances entre le Canada et l’Europe, qui sont susceptibles d’être conclues de façon à entraîner une remise en question politique et démocratique opportune de l’orientation future du régime commercial.

Lors de la discussion, les réponses aux questions pointues de M. Davis confirment la réussite limitée et inégale des institutions de l’ALÉNA sur le plan du travail et de l’environnement, même si l’on a fait un premier pas en établissant des mécanismes de coopération dans ces deux domaines. Mme Swenarchuk fait aussi remarquer que l’affaire Ethyl, qu’elle a déjà mentionnée, a entraîné, malgré le bien fondé de la stratégie de défense du gouvernement contre la poursuite, une extension du sens de « expropriation » telle que définie dans l’ALÉNA et proposée pour l’AMI, laquelle expose les gouvernements à une multiplication des contestations de la réglementation d’intérêt public par des intérêts privés, ainsi que des demandes de dédommagement débordant ce qui aurait été acceptable en vertu des obligations internes et internationales antérieures concernant l’arbitrage commercial. Mme Durrieux, en précisant les motifs de l’opposition de la France à l’AMI, convient que de telles dispositions investisseur-État avantagent maintenant les intérêts privés au détriment de l’intérêt public.

À la suite d’une question de M. le député Daniel Turp sur l’évolution d’une « communauté nord-américaine », un concept dont le ministre canadien des Affaires étrangères, M. Lloyd Axworthy, a fait état dans de récents discours mais qui a été peu débattu en public, il y a une brève discussion sur les façons dont l’ALÉNA peut mener à une meilleure intégration hémisphérique parallèlement aux négociations [note : actuellement présidées par le Canada] sur un projet de zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). M. Bakvis fait remarquer que le MERCOSUR, ayant à sa tête le Brésil, envisage un processus bien plus proche du modèle d’intégration européen qui fait une grande place à la dimension sociale. M. Behrendt (Allemagne) se demande dans quelle mesure le réseau des ONG, qui déborde les frontières, cherche à attirer l’attention sur les questions environnementales, entre autres. M. Gusenbauer (Autriche) veut savoir quel sort il faudrait réserver à l’AMI. Mme Swenarchuk répond que les ONG internationales sont en train de tisser des liens solides et de forger des alliances sociales grâce à Internet. Au sujet du libre-échange des Amériques, elle soutient que « la ZLÉA va servir à mettre en oeuvre les accords de l’OMC dans tout l’hémisphère et à accélérer leur application ». À propos des options après l’AMI, elle conclut que : « S’il n’est pas adopté à l’OCDE, il refera surface à l’OMC », mais elle est d’accord avec de nombreux autres qui « se sont toujours opposés à ce que l’OMC empiète davantage sur la souveraineté nationale en négociant un régime pour les investissements ».

Panel n°3 « Aspects sociaux et culturels de l’ALÉNA »

Panélistes :

Mme Brooke Jeffrey
Université Concordia

M. Keith Kelly
Ancien directeur général
Conférence canadienne des arts

M. David Crane
Journaliste, Toronto Star

La professeure Brooke Jeffrey commence par faire remarquer certaines différences fondamentales entre la méthode d’intégration choisie pour l’ALÉNA et celle choisie pour l’UE. Elle signale que dans le cas de l’ALÉNA, on n’a jamais eu l’intention de conjuguer l’intégration politique et sociale à l’intégration économique. Selon elle, les Canadiens cherchent surtout à préserver leur identité nationale et elle rappelle à cet égard le train de mesures adopté par le gouvernement actuel pour protéger les éditeurs de magazines canadiens contre la concurrence américaine, que la coprésidente du panel, la sénatrice Lorna Milne, a mentionné dans son mot d’ouverture. Au Canada, où les provinces ont d’importantes compétences dans le champ des affaires sociales, il y a des débats enflammés sur les effets du libre-échange, de la mondialisation, des compressions budgétaires et d’autres facteurs sur la cohésion sociale. Mais contrairement à l’Europe, la structure de l’ALÉNA ne fait aucune place aux considérations sociales et encore moins à des programmes sociaux fondés sur des valeurs et des objectifs communs.

Il y a une clause dans l’ALÉNA qui laisse à chaque pays le droit d’adopter toutes les mesures voulues relativement à des services sociaux établis dans l’intérêt public. Cependant, cette réserve a un poids discutable et elle n’a pas encore été sérieusement mise à l’épreuve dans une procédure de règlement d’un différend. D’ailleurs, il est difficile de mesurer des effets sociaux, bons ou mauvais, qui sont attribuables directement à l’ALÉNA. Dans une perspective plus générale, Mme Jeffrey affirme qu’il commence néanmoins à se former des coalitions constructives de la société civile dans les trois pays. En outre, il semble y avoir convergence des échelles de valeurs des citoyens de la région (les Canadiens valorisent par-dessus tout la « tolérance », les Américains, « l’indépendance » et les Mexicains, la « responsabilité »), bien qu’une telle harmonisation semble due surtout à des courants mondiaux et non à l’ALÉNA. Si tant les citoyens que les représentants élus sont capables d’une plus grande interaction et participation dans le contexte de l’ALÉNA, peut-être que, dans les prochaines années, il y aura de plus en plus de raisons et d’occasions de promouvoir des préoccupations assimilables à une charte sociale.

M. Keith Kelly constate la même difficulté quand on tente de mesurer avec précision l’incidence de l’ALÉNA sur la culture canadienne. Il croit aussi que l’attention actuellement concentrée sur « l’exemption de la culture » accordée au Canada dans l’ALÉ et l’ALÉNA est sans doute quelque peu déplacée puisque toute une décennie d’application a révélé clairement que de telles dispositions offrent une piètre protection (« l’exemption de la culture n’est efficace que dans la mesure où les Américains acceptent de la respecter »). Malheureusement, les Américains n’ont montré aucune volonté d’abandonner leur droit d’user de représailles contre les mesures culturelles canadiennes qu’ils jugent discriminatoires et, dernièrement (p. ex. dans le cas des magazines), ils ont réussi à en appeler devant l’OMC où « aucun filtre d’ordre culturel n’est ajouté au mécanisme de règlement des différends afin de traiter les cas concernant la culture différemment des litiges portant sur les produits dont on fait traditionnellement le commerce ».

Sur une note positive, M. Kelly mentionne l’établissement de réseaux internationaux, en particulier avec les homologues européens, pour trouver de nouvelles formules (par exemple le concept d’une « charte des droits parallèles mondiaux » dans le domaine culturel) qui mèneront à des solutions durables pour préserver l’expression culturelle autonome à l’intérieur d’un milieu mondial bénéfique pour le commerce et l’investissement. Il conclut ainsi : « Nous espérons certes que le consensus international sur la culture continuera de se développer au point où on pourrait réussir, au cours du cycle du millénaire (de l’OMC) à trouver une solution au problème de la protection des valeurs qui sont les plus importantes pour nous en tant que nations ».

M. David Crane analyse l’effet de l’ALÉ et de l’ALÉNA sur les tendances socio-culturelles dans la mesure où elles sont liées au développement de l’économie canadienne qu’entraîne l’évolution dynamique des activités commerciales internationales et des nouvelles technologies des communications. Il évoque l’arrivée effective ou éventuelle des fournisseurs de services privés américains dans plusieurs domaines — comme la santé, l’éducation, le système correctionnel — qui ont toujours été une chasse gardée de l’État. À son avis, la mondialisation au sens plus large restreint aussi la capacité du gouvernement d’augmenter les impôts pour financer les objectifs sociaux. Dans le cas du Canada, les objectifs culturels seront aussi en jeu dans les prochaines négociations de l’OMC, notamment dans le domaine des services, qui seront sans doute entamées en l’an 2000 à la suite du sommet ministériel que les États-Unis organiseront pour la fin de 1999.

M. Crane renforce les propos de M. Kelly en faisant remarquer que le Canada doit se montrer créatif autant que vigilant pour concevoir des solutions réalistes avec des pays qui partagent les mêmes idées que lui, puisque les États-Unis ont annoncé leur intention, au contraire, de soumettre les industries culturelles à d’autres règles commerciales générales et de n’accorder aucun statut spécial à la culture. M. Crane dit que Canadiens et Européens pourraient faire plus d’efforts pour arriver à établir des alliances et à contrer les assauts des Américains. Le Canada ne cherche pas à empêcher les produits culturels de franchir ses frontières (d’ailleurs, la culture étrangère occupe presque tout le marché de consommation au Canada), mais de préserver un « espace viable pour les industries culturelles canadiennes afin qu’elles soient rentables et puissent continuer de servir la population canadienne » dans toute la gamme des médias. Selon M. Crane, l’aspect commercial est capital pour la survie des médias canadiens qui ne bénéficient pas du gigantesque marché intérieur et des économies d’échelle de leurs concurrents américains.

Malheureusement, soutient-il, les dispositions de l’ALÉ et de l’ALÉNA n’ont rien fait pour protéger la culture canadienne contre les attaques des Américains et leurs menaces de représailles. Donc, si l’ALÉNA tend vers une intégration profonde, il y a lieu de s’inquiéter. De surcroît, puisque le développement accéléré du cybercommerce et d’Internet ont des implications nouvelles pour la culture et le commerce, les Canadiens et les Européens doivent trouver des façons différentes de travailler ensemble sur ce qui s’annonce comme l’une des questions les plus critiques du prochain cycle de l’OMC.

Entamant la période de discussion, M. Caccia demande comment il se fait qu’on en soit arrivé à une telle domination des considérations commerciales dans la diplomatie et les relations internationales, au détriment des valeurs sociales. Peut-on refréner cette forte tendance? Les panélistes répondent en mentionnant les effets profonds d’une révolution technologique conjuguée à une révolution idéologique en faveur de la déréglementation et de la privatisation. M. Crane soutient que, même si ce n’est pas réaliste de revenir au protectionnisme du passé, des éléments d’une « contre-révolution » sont en gestation. Les gouvernements ne sont pas du tout impuissants et on cherche de plus en plus à régler les « déficits de la démocratie » à plusieurs niveaux. Dans le sillage de la crise financière asiatique, même des institutions comme le FMI reconnaissent que « la déréglementation financière mondiale est peut-être allée trop loin ». Les dilemmes de la mondialisation et du « gouvernement planétaire » sont aujourd’hui d’importants sujets de discussion dans les tribunes internationales.

Au sujet de la culture et du libre-échange, M. Davis dit comprendre que les Canadiens s’inquiètent de l’influence écrasante de la télévision et du cinéma américains, mais il se demande si, en défendant l’industrie canadienne des magazines, le Canada ne subventionne pas tout simplement les profits des éditeurs qui, pour certains, ne semblent pas à la hauteur. M. Kelly et M. Crane détaillent les raisons pour lesquelles les éditions dites « dédoublées » des magazines américains compromettent la viabilité des éditeurs canadiens de moindre envergure.

M. Jan Figel (Slovaquie, président du Sous-comité des relations économiques internationales) oppose la quête de la compétitivité qui est le moteur de l’ALÉNA au principe de la solidarité qui a guidé l’établissement d’une communauté européenne multinationale dans l’après-guerre et, aujourd’hui, dans l’après-guerre froide. Il demande : « Existe-t-il une vision institutionnalisée de la solidarité dans les relations nord-américaines en général et l’ALÉNA en particulier? » M. Crane répond qu’il n’y en a pas. Le gouvernement Clinton a pourtant créé une banque de développement nord-américaine pour faire adopter l’ALÉNA au Congrès, mais comme elle ne visait que les projets frontaliers États-Unis-Mexique, le Canada a refusé d’y participer. Dernièrement, le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, fait la promotion du concept d’une communauté nord-américaine (voir à ce sujet le compte rendu du panel n° 2 et aussi la note de synthèse n° 7) qui semble tourner surtout autour de l’éducation. Toutefois, M. Crane doute que cette initiative aboutisse, compte tenu notamment des divergences philosophiques entre le Canada et les États-Unis au sujet des politiques sociales et culturelles. [*Note : dans un récent essai comparant les schémas nord-américains et européens d’intégration « continentale », Stephen Clarkson, un spécialiste canadien des relations internationales, présente un point de vue lucide sur les possibilités transatlantiques de la naissance d’un axe « ALÉNA-UE »(1)].

D’autres interventions portent sur la question de la conception des accords commerciaux qui se dessinent et sur leur incidence sur les droits des gouvernements. Par exemple, le député Clifford Lincoln parle de la puissance excessive des sociétés basées aux États-Unis, comme on peut le constater dans l’affaire Ethyl et dans le domaine culturel. M. Crane en impute la responsabilité aux gouvernements qui, après tout, négocient et concluent ces accords commerciaux — « les gouvernements détiennent plus de pouvoir qu’ils croient en avoir ». Poursuivant sur le sujet des conséquences sociales et culturelles, M. Gusenbauer remet en question les avantages d’un marché transatlantique « fonctionnant plus ou moins suivant les termes de l’ALÉNA. [...] Si les clauses de l’ALÉNA n’offrent pas de meilleures conditions sociales et environnementales, à quoi sert-il d’entreprendre des négociations? Si ce n’est pas mieux que l’OMC, quel est l’avantage comparatif? »

En s’efforçant de répondre à la question, les panélistes s’accordent à dire que les négociations internationales sur ces questions seront extrêmement difficiles. En ce qui concerne la culture, qui fait aussi problème en Europe, les choses n’avanceront que si les États-Unis changent d’attitude. Insistant sur ce point, la députée Francine Lalonde revient sur une question posée plus tôt au sujet de l’avenir des « exemptions » culturelles qu’elle qualifie de défi commun au Canada et à tous les pays européens, pas seulement à ceux de l’Union européenne. M. Kelly a peu d’espoir que les États-Unis modifient leur position de négociation, mais il exhorte néanmoins le Canada à travailler en étroite collaboration avec les pays qui partagent les mêmes idées, dans le cadre de l’OMC, pour arriver à des propositions pratiques, capables de protéger les objectifs culturels.

Pour clore la discussion, M. Caccia se demande si l’incorporation de nouvelles clauses d’ordre social ou culturel dans les accords commerciaux sera efficace étant donné les résultats, peu impressionnants jusqu’à présent, des commissions de l’ALÉNA pour le travail et l’environnement. M. Gusenbauer remet aussi en question le « libellé trop conciliant » qu’on a tendance à employer pour régler ces problèmes du système commercial : « Quand des profits sont en jeu, on sort l’artillerie lourde, mais quand des droits fondamentaux et sociaux sont concernés, on s’exprime en des termes fort nébuleux ». M. Davis signale que l’Union européenne a au moins un régime supranational d’application plus aisée grâce à la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans une dernière observation, Mme Jeffrey fait remarquer combien il est difficile d’amener les États-Unis à accepter une telle compétence multilatérale et, de façon plus générale, de négocier des questions sociales entre plusieurs parties disparates. L’ALÉNA demeure un instrument très limité pour cette raison et l’UE sera vraisemblablement confrontée à des problèmes comparables quand elle négociera avec le Mexique et ses autres partenaires de l’Amérique latine. Pourtant, M. Kelly et M. Crane conservent tous deux l’espoir de faire accepter des formes de coopération intergouvernementale — en particulier, les Canadiens et les Européens travaillant ensemble à la résolution de certains de ces problèmes — susceptibles de transformer la manière dont cette nouvelle ère de commerce mondial et de progrès technologiques considérables est gérée afin de promouvoir les valeurs sociales et culturelles importantes au lieu de les miner.

Il faut maintenant envisager d’aller au-delà de l’ALÉNA parce que c’est un élément crucial du défi transatlantique et planétaire que le Canada et l’Europe devront relever à l’aube du prochain millénaire.

Séances du 20 octobre

LE CANADA ET L’UE : VERS UN MARCHÉ TRANSATLANTIQUE
(DEUXIÈME JOUR)

Le deuxième jour du colloque, on a délaissé l’ALÉNA pour se concentrer sur une discussion des relations actuelles et futures entre le Canada et l’UE, vu la nécessité de renforcer les liens commerciaux transatlantiques. Outre le besoin d’améliorer les rapports bilatéraux actuels dans certains domaines, il y a une considération clé qu’ont présentée les parlementaires qui ont pris la parole tant aux séances du matin ayant eu lieu au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qu’à la séance de clôture sur la Colline du Parlement : comment bâtir entre l’Europe et l’Amérique du Nord des ponts plus efficaces, susceptibles de mener même jusqu’à la conclusion d’un Accord de libre-échange transatlantique (ALÉTA).

Séance n° 1 « Faits saillants des relations commerciales et économiques Canada-Europe »

Panélistes :

Son excellence Jean-Pierre Juneau
Ambassadeur du Canada auprès de la Commission européenne de l’Union européenne

M. Alfred Gusenbauer (Autriche)
Membre de la Sous-commission des relations économiques internationales et
Ancien président de la Commission des affaires sociales et familiales et
de la santé de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Après avoir été présenté par les coprésidents, la députée Francine Lalonde (vice-présidente, Association parlementaire Canada-Europe) et M. Jan Figel (Slovaquie, président de la Sous-commission des relations économiques internationales), M. l’ambassadeur Juneau commence par brosser un portrait très rose de l’état actuel des relations entre le Canada et l’UE. Parmi les caractéristiques positives des relations qu’il a présentées, il y a les suivantes :

  • Premièrement, les exportations du Canada vers l’UE ont connu une hausse impressionnante de 32,4 p. 100 au cours des sept premiers mois de 1998.
  • Deuxièmement, la composition du commerce s’est améliorée puisque les produits finis occupent maintenant une bien plus grande place. Ils représentent aujourd’hui 42 p. 100 des exportations canadiennes par rapport à seulement 12 p. 100 en 1978.
  • Troisièmement, des mesures de facilitation du commerce ont été adoptées (p. ex. une meilleure harmonisation des normes de produits) pour simplifier les échanges transatlantiques.
  • Quatrièmement, les investissements étrangers directs de l’UE au Canada, qui représentent 65 p. 100 de tous les investissements étrangers non américains au Canada, ont atteint 37 milliards de dollars en 1997.

Avec le même optimisme, M. l’ambassadeur Juneau entrevoit des liens transatlantiques encore plus prospères dans l’avenir, y compris dans le commerce des services. Les sciences et la technologie forment un autre secteur atteignant un bon rendement. À son avis aussi, le lancement de l’euro favorisera le commerce avec le Canada directement en atténuant le risque lié au taux de change et, indirectement, grâce aux effets bénéfiques des réformes économiques et monétaires en Europe. En outre, les relations économiques Canada-UE s’intensifieront parallèlement à l’expansion que prendra l’UE à long terme, étant donné les liens commerciaux qu’entretient le Canada depuis longtemps avec certains des pays candidats à l’adhésion.

M. Juneau dit être certain que le Canada peut envisager un partenariat économique solide avec le marché de l’UE qui est déjà le plus grand au monde. Pourtant, le Canada doit continuer de travailler fort pour obtenir un meilleur accès au marché de l’UE grâce à des accords de reconnaissance mutuelle et à d’autres moyens. Les liens économiques Canada-UE seront encore plus étroits lorsque les barrières commerciales auront été enlevées.

Du côté des Européens, M. Alfred Gusenbauer soutient que l’avenir des relations entre le Canada et l’UE dépend surtout des conditions commerciales mondiales. On a certainement besoin de relations régionales au sein de ce marché planétaire; c’est pourquoi le marché transatlantique pourrait jouer un rôle clé, mais il faudra en analyser soigneusement les avantages et les inconvénients. La question de savoir comment concilier les pactes commerciaux régionaux qui se multiplient et une approche multilatérale globale revient à plusieurs reprises dans la discussion pendant la journée. Outre les diverses négociations commerciales entre l’Union européenne, les pays de l’ALÉNA et d’autres pays latino-américains, notamment le bloc du MERCOSUR, les coprésidents de la séance, M. Jan Figel (Slovaquie) et la députée Francine Lalonde, mentionnent aussi les négociations que le Canada vient d’entreprendre avec l’Association européenne de libre-échange (AELÉ), ainsi que le projet de zone de libre-échange Centre Europe.

De telles questions commerciales doivent être étudiées, soutient M. Gusenbauer, en tenant compte de certaines difficultés politiques et gouvernementales fondamentales que doit régler le système économique planétaire. À son avis, pour corriger l’instabilité financière que connaît actuellement le monde entier, il faut apporter des changements aux institutions internationales, c’est-à-dire, essentiellement, conclure de nouveaux accords de Bretton Woods. M. Gusenbauer recherche en particulier de nouveaux accords monétaires internationaux mieux coordonnés et il croit que l’adoption d’une monnaie unique et stable en Europe contribuera à favoriser une plus grande stabilité dans le monde. Il exprime son appui au « Millenium Round » de l’OMC, mais signale qu’il faut entamer un cycle de négociations vraiment complet sur le commerce et l’investissement.

M. Gusenbauer fait valoir avec vigueur que « la démocratie est une condition préalable essentielle à l’établissement d’une économie de marché qui tienne compte de la richesse, de la croissance et du développement ». Par conséquent, la tendance à la mondialisation croissante doit aussi s’accompagner d’une démocratisation accrue. Trop de pouvoir décisionnel est laissé aux sociétés ou aux organisations internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale; les législateurs ont besoin de donner plus de poids à leur point de vue et d’obliger leurs gouvernements à rendre compte des mesures prises par ces organisations. D’autres participants au colloque partagent cette opinion, notamment M. Povilas Gylys (Lithuanie), M. Wolfgang Behrendt (Allemagne) et le député Benoît Sauvageau (Canada). Mme Helle Degn (Danemark), présidente de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, insiste de nouveau sur ce point dans l’intervention qu’elle fait à la clôture de la seconde séance de la matinée.

Au cours de la période de discussion, les participants soulèvent plusieurs questions au sujet des progrès vraiment réalisés dans le développement des débouchés commerciaux Canada-Europe. Le sénateur Jerahmiel Grafstein fait remarquer que le commerce canadien avec l’Europe continentale (en pourcentage) est à la baisse et que le projet d’accélérer le plan d’action Canada-UE a reçu un accueil tiède à Bruxelles. La création d’une zone de libre-échange transatlantique ne va-t-elle pas insuffler un regain de dynamisme et constituer un premier pas bénéfique vers la libéralisation du commerce multilatéral à l’OMC? Réagissant à cette observation, M. Gusenbauer demande si un tel « marché transatlantique » profitera nécessairement au Canada : « Avez-vous analysé les effets qu’aurait un marché transatlantique sur le Canada en particulier? » Il se demande si un nouvel accord transatlantique n’amènerait pas les entreprises européennes à transiger avec les sociétés américaines plutôt qu’avec celles d’origine canadienne.

En réaction à une question posée par M. Terry Davis (Royaume-Uni) sur l’état des progrès du plan d’action Canada-UE, M. l’ambassadeur Juneau signale un certain nombre d’accords bilatéraux déjà conclus (p. ex. les normes, les douanes, les sciences et la technologie). Selon M. Juneau, il est possible que le plan d’action du Canada soit plus avancé que celui des États-Unis. Toutefois, compte tenu des discussions commerciales bilatérales entre les États-Unis et l’Union européenne [note : celles-ci ont abouti à l’adoption, le 9 novembre, d’un plan d’action pour le Partenariat économique transatlantique], il reconnaît aussi que :

Le Canada ne fait pas encore partie du marché transatlantique. Premièrement, les Américains ne veulent pas qu’il en fasse partie et je crois qu’il est important de le savoir. Les Américains ne veulent pas non plus qu’il soit partie au Transatlantic Business Dialogue et, de toute évidence, les Européens étaient très contents que le Canada n’y participe pas.

Il a aussi été révélé que la conclusion de l’étude commerciale conjointe Canada-UE, prévue dans le Plan d’action de 1996 pour déterminer les barrières commerciales à supprimer, avait connu des problèmes et des retards. M. l’ambassadeur Juneau soutient néanmoins que la politique canadienne maintient le cap. À son avis, comme aucun cadre ne permet la tenue de négociations collectives entre les pays de l’ALÉNA et l’UE, le mieux c’est de poursuivre les efforts bilatéraux actuels tout en recherchant des possibilités de convergence ou de négociations trilatérales simultanées avec les Américains et les Mexicains.

[*Note : Le 2 décembre 1998, dans un exposé de toute la politique commerciale canadienne et de ses objectifs en vue des négociations attendues de l’OMC, le ministre canadien du Commerce international, M. Sergio Marchi, a rappelé au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes qu’à son avis, un partenariat Canada-UE devait avoir pour objet que l’Europe considère l’Amérique du Nord comme une seule communauté ALÉNA et non pas comme trois pays voisins différents. Il soutient que le Canada privilégie nettement que l’Europe soit réputée être en train de négocier avec nos trois pays en même temps.]

Séance n° 2 « Perspectives sectorielles et domaines où des accords bilatéraux sont possibles »

Panélistes :

M. Jason Myers
Premier vice-président et économiste en chef
Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada

M. John Colfer
Président et chef de la direction, CORANCO Corporation

Les coprésidents, la députée Aileen Carroll et le député Roy Cullen, ouvrent la séance en rappelant quelques-unes des difficultés et certains des débouchés qui attendent le Canada s’il veut sortir du schéma de ses échanges passés pour nouer des relations commerciales plus diversifiées et plus dynamiques avec ses partenaires européens. Comme l’affirme Mme Carroll : « Les services financiers, les industries de matière grise et l’écotechnologie sont les principales industries de croissance. Les irritants commerciaux se retrouvent surtout parmi les marchés de produits primaires. Par conséquent, il nous appartient de nous concentrer sur des initiatives commerciales bilatérales dans ces secteurs d’avenir qui ne sont pas grevés d’irritants commerciaux dont on n’arrive pas à se défaire ». M. Cullen rappelle les réserves exprimées lors des panels de la veille à propos de la question de savoir si l’ALÉNA, compte tenu de ses problèmes intrinsèques, « constitue vraiment un modèle pour le commerce transatlantique ». De plus, il conseille vivement de se pencher aussi sur les questions de lutte contre la corruption et les crimes économiques, car celle-ci est cruciale pour améliorer les perspectives d’échanges avec les pays de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est.

M. Jason Myers présente des observations sur les changements structuraux qui se sont produit dans toute l’industrie canadienne depuis la libéralisation du commerce en Amérique du Nord, notamment une spécialisation accrue de la production, une intégration des entreprises et un meilleur rapport coût-efficacité. Les entreprises détiennent de plus en plus des exclusivités mondiales, quoique l’orientation reste résolument américaine. Selon M. Myers, cela signifie en pratique que la croissance économique découlant du libre-échange en Amérique du Nord pousse les sociétés canadiennes à se tourner vers d’autres régions telles que l’Europe pour combler une bonne partie de leurs besoins en main-d’oeuvre spécialisée, en technologie et en information. Le Canada attire aussi de plus en plus d’investissements provenant de sources européennes. M. Myers met donc son auditoire en garde contre une libéralisation du commerce et une quête des débouchés qui seraient strictement bilatérales. Il faut plutôt que les entreprises profitent du marché mondial et que les discussions entourant le commerce transatlantique reflètent celles se déroulant à l’échelle planétaire.

Dans son exposé, M. John Colfer approuve énergiquement la conclusion d’accords bilatéraux plus étendus entre le Canada et l’UE pour arriver à des tarifs plus compatibles, à l’élimination des barrières non tarifaires entre les deux parties et à l’amélioration du climat d’investissement transatlantique. Il souligne aussi le « déficit informationnel » de la petite et moyenne entreprise (PME) au sujet des occasions d’affaires sur le plan international, mais il croit que le gouvernement fédéral commence à s’occuper du problème. M. Colfer fait aussi écho au point de vue du ministre fédéral du Commerce international, M. Marchi, en exprimant sa conviction que « la négociation, entre communautés, d’accords bilatéraux plus équitables et mieux équilibrés est essentielle pour obtenir des avantages à long terme pour le Canada et les États-Unis. De tels accords dissiperont la crainte du protectionnisme, née du fait qu’il y a des négociations séparées entre l’UE et les É.-U. d’une part, et entre l’UE et le Mexique d’autre part. Ils permettront aussi de stabiliser le commerce mondial».

En réaction à une observation de M. Caccia sur les avantages de conclure un accord du type de l’ALÉTA, M. Davis explique le peu d’enthousiasme que cette idée a soulevé en Europe. Plus tard, à la séance de l’après-midi, il précise que dans l’esprit européen, le « marché transatlantique » désigne un axe Union européenne-États-Unis; autrement dit, un marché dominé par Bruxelles et Washington qui exclurait Ottawa. Par contre, M. Davis s’intéresse énormément à l’état de l’étude commerciale conjointe Canada-UE qui a été entreprise. M. l’ambassadeur Juneau révèle que la publication du document est retardée par l’impossibilité d’en arriver à des conclusions communes sur la meilleure méthode à employer pour libéraliser le commerce. À cause de cette impasse, il entrevoit la publication éventuelle d’un document canadien plutôt qu’un document conjoint.

En conclusion, Mme Degn fait une observation indiquant certains des obstacles qu’il faudra surmonter pour que les discussions commerciales en cours passent à une sphère supérieure :

Nous avons besoin d’un cadre institutionnel et c’est ce qui manque dans le cadre régional de votre ALÉNA. Voici ce que je réponds à M. Caccia : il est difficile pour les Européens de s’engager dans la coopération régionale alors que vous proclamez la nécessité d’institutionnaliser les mécanismes. C’est difficile pour nous, mais ce n’est pas irréalisable. Vous devez améliorer vos accords régionaux et nous, les nôtres. Il faudra éventuellement les relier d’une façon ou d’une autre. [...] Qui profite vraiment de ces accords? [...] Il faut envisager des politiques à plus long terme si l’on veut arriver à des résultats qui profiteront à notre électorat.

Séance de clôture « Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe »

Panélistes :

L’hon. Allan J. MacEachen
Sénateur (à la retraite)
Anciennement vice-premier ministre, ministre des Finances et
ministre des Affaires étrangères
M. Terry Davis
Député à la Chambre des communes du Royaume-Uni
Ancien président de la Commission du développement et des affaires économiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Le sénateur Allan MacEachen ouvre la dernière séance du colloque en présentant les remarques faites récemment par M. le ministre Marchi au sujet de l’établissement de rapports transatlantiques plus étendus dans le contexte d’une perspective historique utile sur les relations économiques du Canada avec l’Europe. Il fait remarquer que l’Accord cadre de coopération commerciale et économique de 1976, conclu par le Canada et l’UE, était un produit du nationalisme économique à la mode au Canada à l’époque. La tentative de diversification du Canada qui voulait orienter ses activités économiques non plus seulement vers les États-Unis mais vers l’Europe et d’autres pays a été appelée la « Troisième option », les deux premières étant le statu quo et une intégration accrue aux États-Unis. Mais même si « le premier ministre a investi considérablement dans l’ouverture à l’Europe... il n’y a eu aucune révolution, du moins de notre politique commerciale, pendant des lunes ». M. MacEachen poursuit en faisant observer que les forces qui mènent à une intégration plus poussée du Canada en Amérique du Nord ont certainement détourné le Canada de l’Europe durant presque toutes les années 80. L’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ) qui a marqué le début d’un virage politique historique a été ensuite renforcé par l’ALÉNA.

Néanmoins, dans les années 90, on a tenté à maintes reprises de raviver les relations Canada-Europe qui, selon certains, languissaient. Ces relations ont traversé de mauvaises passes, notamment le « froid » causé par le litige sur la morue qui a opposé le Canada à l’Espagne. Le Canada a dû apprendre que « face à la puissance économique de l’Union européenne, il n’occupait pas une position de négociation avantageuse ». M. MacEachen croit que si, en 1976, c’était le Canada qui recherchait l’appui de l’Europe pour réduire la domination économique des États-Unis, aujourd’hui, ce serait sans doute l’inverse. Bien que le climat politique actuel ne soit pas propice au projet d’ALÉTA du premier ministre Chrétien, son heure viendra (dès les années 50 Lester Pearson avait lancé l’idée d’un accord commercial nord-atlantique); « il faut savoir être patient ». En attendant, le Canada peut encore tirer d’importants bénéfices à la fois des efforts bilatéraux dont on a déjà parlé — et qui devraient viser tant les vieux amis que les nouveaux parmi la famille des nations européennes — et du nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales.

M. MacEachen termine en faisant observer que, dans une période de turbulence comme celle que nous vivons dans le sillage de la crise asiatique, il faut s’attaquer aux problèmes « en corrigeant les principes fondamentaux nationaux » et « en tenant une discussion approfondie sur le fonctionnement du système financier international et sur les implications des applications enthousiastes de la mondialisation ».

M. Terry Davis (ancien président de la Commission du développement et des affaires économiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) a brutalement jeté une douche froide sur la possibilité d’établir en ce moment un ALÉTA. À son avis, il est fort douteux que l’édification d’un seul pont au-dessus de l’Atlantique (l’ALÉTA par opposition à trois processus bilatéraux séparés), quoique préférable, soit réalisable parce que « je ne crois pas que le gouvernement des États-Unis l’accepte ». Il fait remarquer que : « Quand les politiciens en Europe parlent d’un marché transatlantique, ils songent aux États-Unis d’Amérique. Voilà un détail extrêmement important dont les Canadiens et les Mexicains doivent tenir compte ». M. l’ambassadeur Juneau l’avait mentionné dans son allocution de la matinée. Effectivement, la voie de négociation principale sera celle entre les États-Unis et l’UE, qui mènera à une nouvelle relation bilatérale entre les deux superpuissances économiques. Cette relation renforcée préparera ensuite à une approche commune des négociations multilatérales de 1999 à l’OMC.

En fait, la prédiction de M. Davis s’est déjà matérialisée. Comme nous l’avons déjà signalé dans l’introduction de la présente synthèse, un nouveau plan d’action pour un « Partenariat économique transatlantique » entre les deux géants économiques a été conclu en novembre 1998. M. Davis se risque à affirmer qu’il serait peut-être plus utile pour le Canada de travailler étroitement avec le Mexique au lieu de chercher à engager les États-Unis dans une « trilatéralisation » d’une relation avec l’UE : « Si j’étais un député fédéral canadien, je ferais pression pour la tenue de négociations trilatérales, étant donné que l’Amérique ne veut pas les rendre quadrilatérales, mais la troisième partie serait le Mexique et non les États-Unis ». Il a aussi fait une remarque pénétrante sur la proposition de partenariat économique transatlantique (qui a été adoptée depuis) :

Ayant lu le texte attentivement, j’ai l’impression que le plan d’action pour un partenariat économique transatlantique consiste en réalité à amener l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique à adopter une position commune lors des négociations de l’OMC l’an prochain, dont le point culminant sera la conférence ministérielle de décembre 1999. Il détermine la façon dont ils peuvent arriver à cette position commune qui serait ensuite imposée non seulement au Canada, mais au monde entier. Ceux qui croient que cela rappelle les négociations qui se sont déroulées sur l’AMI ont tout à fait raison, sauf que ce n’est pas l’OCDE, une poignée de pays, mais tout un bloc économique : l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique.

Pourtant, M. Davis soutient énergiquement que le Canada n’est pas dépourvu de possibilités qui lui sont propres. Il conseille au Canada d’utiliser le bilinguisme à son avantage à Bruxelles et « d’essayer de cultiver de nouvelles amitiés et de songer à l’avenir plutôt qu’à la situation présente... pas seulement à l’Allemagne (l’exemple de liens bilatéraux donné par M. MacEachen) mais aussi à la République tchèque, à la Pologne, à la Hongrie et à quelques autres qui feront partie de l’Union européenne mais qui, en attendant, partagent votre sentiment d’être tenus à l’écart des négociations ». M. Davis regrette que la publication de l’étude commerciale conjointe Canada-UE ait été retardée, puisque, comme il le dit lui-même : « Si vos amis au Conseil de l’Europe veulent défendre vos intérêts à l’intérieur de l’Union européenne et dans le reste de l’Europe, alors ils doivent connaître les faits ».

Au moment de la récapitulation, on insiste de nouveau sur l’établissement d’alliances entre les deux côtés de l’Atlantique non seulement pour promouvoir le commerce et la création de richesses, mais pour le faire avec une conscience sociale qui, pour reprendre les termes de M. Figel, contribuera à « édifier une véritable communauté de valeurs ». M. Gusenbauer fait remarquer que la « réalpolitik » de l’hégémonie américaine ne devrait pas ternir les réussites de la diplomatie canadienne. Et M. MacEachen ajoute que son expérience personnelle lui a appris que le Canada, quand il traite avec son voisin superpuissant, est parfois plus libre que ses homologues européens.

Chez les Européens, M. Gonzalez-Laxe (rapporteur de la Sous-commission au colloque) s’estime satisfait des deux journées de discussions fructueuses, notamment les questions stimulantes qu’elles ont soulevées au sujet de l’évolution de l’ALÉNA dans l’avenir, de la nécessité d’établir des cadres institutionnels et parlementaires pour gérer les intérêts économiques transatlantiques communs, et des choix que doit faire le Canada pour naviguer entre les superpuissances économiques de l’UE et des É.-U. Chez les Canadiens, M. Caccia est reconnaissant à tous les participants de leurs interventions et, soulignant en particulier la franchise de Terry Davis, il réaffirme la détermination du Canada à réaliser un jour son « objectif insaisissable » d’une « troisième option » transatlantique.


ANNEXE I

PROGRAMME

COLLOQUE PARLEMENTAIRE CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE

« Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe »

OTTAWA, 19-20 octobre 1998

Lundi 19 octobre 1998 — Premier jour

« L’EXPÉRIENCE DU CANADA DANS L’ALÉNA »

8 h - 8 h 30 Inscription
Pièce 160-S, Édifice du Centre

8 h - 8 h 20 Convocation officielle — Sous-commission des affaires économiques
du Conseil de l’Europe
(Réservé aux membres de la Sous-commission)

8 h 20 - 8 h 45 Déclarations d’ouverture

8 h 45 - 10 h 30 Panel n° 1 « Questions commerciales et mécanismes de règlement des différends »
Pièce 160-S

Présidents :

L’hon. Sharon Carstairs
Sénat du Canada

M. Bill Graham, député de Toronto Centre-Rosedale
Président, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes

Panélistes :

M. Michael Hart
Associé principal, Centre de droit et politique commerciale
Université d’Ottawa et Université Carleton

Mme Sally Rutherford
Directrice générale, Fédération canadienne de l’agriculture

M. Gordon Ritchie
Associé, Strategico Inc.

10 h 30 - 10 h 45 Pause

10 h 45 - 12 h 30  Panel n° 2 « Le travail et l’environnement sous le régime de l’ALÉNA »
Pièce 160-S

Président :

L’hon. Charles Caccia, député de Davenport
Président, Association parlementaire Canada-Europe

Président, Comité permanent de l’environnement et du développement durable
de la Chambre des communes

Panélistes :

Mme Jeanine Ferretti
Directrice générale par intérim, Commission de coopération environnementale

M. Peter Bakvis
Confédération des syndicats nationaux

Mme Michelle Swenarchuk
Association canadienne du droit de l’environnement

12 h 30 - 14 h L’hon. David Collenette, Ministre des Transports
Pièce 253-D

14 h - 15 h 15 Période des questions à la Chambre des communes

15 h 30 - 17 h 30 Panel n° 3 « Aspects sociaux et culturels de l’ALÉNA »
Pièce 160-S

Présidentes :

L’hon. Lorna Milne
Sénat du Canada

L’hon. Lucie Pépin
Sénat du Canada

Panélistes :

Mme Brooke Jeffrey
Université Concordia

M. Keith Kelly
Ancien directeur général, Conférence canadienne des arts

M. David Crane
Journaliste des affaires économiques, Toronto Star

18 h Réception pour les participants
Pièce 256-S

Mardi 20 octobre 1998 — Deuxième jour

« LE CANADA ET L’U.E. : VERS UN MARCHÉ TRANSATLANTIQUE »

9 h - 10 h 30 Séance n° 1 Faits saillants des relations commerciales et économiques Canada-Europe
Salle Robertson (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international)
125, promenade Sussex

Présidents :

Mme Francine Lalonde, députée de Mercier
Vice-présidente, Association parlementaire Canada-Europe

M. Ján Figel (Slovaquie)
Président de la Sous-commission des relations économiques internationales
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Panélistes :

M. l’ambassadeur Jean-Pierre Juneau
Ambassadeur du Canada auprès de l’Union européenne

M. Alfred Gusenbauer (Autriche)
Membre de la Sous-commission des relations économiques internationales

10 h 30 - 10 h 45 Pause

10 h 45 - 12 h 15 Séance n° 2 Perspectives sectorielles et domaines où des accords bilatéraux
sont possibles
Salle Robertson (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international)
125, promenade Sussex

Présidents :

Mme Aileen Carroll, députée de Barrie-Simcoe-Bradford

M. Roy Cullen, député d’Etobicoke Nord

Panélistes :

M. Jayson Myers
Premier vice-président et économiste en chef
Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada

M. John Colfer
Président, CORANCO Corp.

12 h 15 - 12 h 30

Mme Helle Degn (Danemark)
Présidente, Commission du développement et des affaires économiques
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

12 h 30 - 13 h 45 Déjeuner de travail et allocution de l’honorable John Manley,
ministre de l’Industrie
Salle de réception Lester B. Pearson (ministère des Affaires étrangères)
125, promenade Sussex, 9e étage

13 h 45 - 14 h Retour à la Colline du Parlement

14 h - 14 h 30 Période des questions au Sénat

15 h - 17 h Séance de clôture : « Au-delà de l’ALÉNA vers un marché transatlantique Canada-Europe »
Pièce 160-S

Président :

L’hon. Jerahmiel Grafstein
Sénat du Canada

Panélistes :

L’hon. Allan J. MacEachen
Sénateur (à la retraite)
Anciennement ministre des Finances et vice-premier ministre

M. Terry Davis (Royaume-Uni)
Chef de la délégation du Royaume-Uni à l’Assemblée du Conseil de l’Europe et ancien président de la Commission du développement et des affaires économiques

17 h Mot de la fin

L’hon. Charles Caccia, député
Président, Association parlementaire Canada-Europe

M. Fernando Gonzalez-Laxe (Espagne)
Rapporteur de la Sous-commission des relations économiques internationales

18 h Réception donnée par l’Association parlementaire Canada-Europe et la Commission
de la capitale nationale
Centre d’information de la capitale nationale (en face de la Colline du Parlement)


NOTES DE SYNTHÈSE POUR LE COLLOQUE PARLEMENTAIRE
CANADA-CONSEIL DE L’EUROPE
OCTOBRE 1998

INTRODUCTION

Les 19 et 20 octobre 1998 a eu lieu au Canada un séminaire parlementaire sur le thème suivant : Au-delà de l’ALÉNA, vers un marché transatlantique Canada-Europe. La rencontre était parrainée conjointement par l’Association parlementaire Canada-Europe et la Sous-commission des relations économiques internationales de la Commission des questions économiques et du développement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Quarante pays font maintenant partie de l’Assemblée de Strasbourg, le plus ancien organisme européen voué à la solidarité démocratique et sociale, qui fête son 50e anniversaire en 1999. Des parlementaires des 15 États membres de l’Union européenne et de la plupart des pays de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est, y compris la Russie, participent à ses sessions trimestrielles et aux activités de ses commissions. Depuis mai 1997, les parlementaires canadiens y ont le statut d’observateurs.

L’idée du séminaire résulte du désir des homologues européens d’en apprendre plus long sur la zone nord-américaine de libre-échange selon la perspective canadienne, et d’un intérêt canadien réciproque pour ce qui est d’explorer, outre l’ALÉNA existant, des options économiques qui pourraient aboutir à un arrangement transatlantique plus large, susceptible de profiter mutuellement aux blocs régionaux de plus en plus intégrés de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Conséquemment le colloque Canada-Conseil de l’Europe a mis l’accent sur ces questions dans le but de stimuler un dialogue entre homologues canadiens et européens qui pourraient faire ressortir des points et des options communs visant à mener à de plus grandes relations économiques transatlantiques. Les panels du premier jour se sont penchés sur les principales dimensions de l’expérience du Canada dans l’ALÉNA, laquelle ne cesse d’évoluer. Au cours du deuxième jour les participants ont examiné les relations commerciales du Canada avec l’Europe et les perspectives d’en arriver à des partenariats transatlantiques plus étroits.

La présente publication modulaire est une version légèrement révisée d’une série de notes d’information produites par la Direction de la recherche parlementaire à l’intention des participants au colloque. Les notes de Gerald Schmitz introduisent le thème et décrivent de nombreux aspects de l’expérience canadienne au sein de l’ALÉNA, y compris les institutions de règlement des différends, les organes associés de coopération touchant l’environnement et la main-d’oeuvre et les liens avec les questions de politique culturelle et sociale. Les notes de Peter Berg portent principalement sur les dossiers commerciaux du Canada et de l’Union européenne, tant du point de vue bilatéral que selon la perspective d’une zone de libre-échange transatlantique qui favoriserait les intérêts canadiens tout en étant compatible avec les intérêts partagés de l’Amérique du Nord et de l’Europe à l’échelle mondiale. Le lecteur trouvera également des références choisies à d’autres sources de documentation et certains liens électroniques connexes.

PREMIER JOUR : L’EXPÉRIENCE DU CANADA DANS L’ALÉNA
(Les notes de synthèse nos 1 à 7 sont de Gerald Schmitz)

Les trois notes de synthèse qui suivent ont été produites pour le premier jour du colloque Canada-Conseil de l’Europe, qui s’est tenu en octobre 1998. Elles portent sur certains des aspects les plus importants de la participation du Canada à l’ALÉNA. Les notes pour le panel no 1 portent sur la genèse de l’accord, sur ses principaux éléments et sur les tendances constatées depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 1994, soit il y a près de cinq ans. On y examine aussi les mécanismes de résolution des différends de l’ALÉNA ainsi que les tendances communes aux différends commerciaux ayant touché le Canada dans le régime de l’ALÉNA. Si l’on remonte au début des années 80, on constate que l’une des raisons primordiales pour lesquelles le Canada voulait établir un régime de libre-échange continental était qu’il souhaitait assurer son accès aux marchés des États-Unis. Certes, le volume des échanges transfrontaliers a considérablement augmenté mais cet objectif n’a été, au mieux, que partiellement atteint. Bien que le but fondamental de l’ALÉNA soit de favoriser les flux du commerce et de l’investissement, l’accord a aussi innové par l’ajout de deux « accords parallèles » sur l’environnement et sur la main-d’oeuvre. Les notes pour le panel no 2 font le point sur le travail des commissions établies pour mettre en oeuvre ces accords ainsi que sur l’évaluation des résultats atteints en matière de questions environnementales et de normes du travail dans le cadre de l’ALÉNA. Précisons que l’ALÉNA suscite aussi des controverses du point de vue de ses conséquences apparentes ou potentielles qui pourraient mettre en danger le réseau canadien de protection sociale (en santé publique, par exemple) et les politiques de protection de la culture. Les notes pour le panel no 3 sont consacrées à l’incidence de l’ALÉNA sur ces domaines d’intervention gouvernementale et de choix démocratique.

PANEL No 1

QUESTIONS COMMERCIALES ET MÉCANISMES
DE RÉSOLUTION DES DIFFÉRENDS

NOTE NO 1 : L’ALÉNA ORIGINES, ÉLÉMENTS CLÉS ET ÉVOLUTION (2)

Origine

Le Canada a fait le premier pas crucial vers l’ALÉNA lorsque le gouvernement conservateur de Brian Mulroney a décidé d’engager des négociations bilatérales de libre-échange avec les États-Unis au milieu des années 80. Bien que les pourparlers aient quasiment échoué et que l’Accord de libre-échange (ALÉ) de 1988 ait été extrêmement controversé, il a été le modèle des arrangements subséquents de libre-échange continental. Parce que les États-Unis avaient négocié l’ALÉ avec leur voisin du nord, leur voisin du sud, le Mexique, a demandé en 1990 d’engager ses propres négociations de libre-échange. S’il est vrai que les trois quarts des exportations canadiennes étaient destinées aux marchés américains, le Mexique était quasiment aussi tributaire que le Canada dans ce contexte, les deux tiers de ses exportations étant destinées aux États-Unis. En outre, des intérêts géopolitiques importants étaient en jeu. Alors que ces pourparlers bilatéraux avançaient, le Canada a craint une érosion de ses gains de l’ALÉ et voulu éviter un résultat dans lequel un « moyeu » américain jouirait d’une situation plus avantageuse que les « rayons » séparés de chaque partenaire du libre-échange. Début 1991, les négociations sont devenues trilatérales à la demande du Canada.

Le Canada est ensuite passé d’une position essentiellement défensive à une position proactive en réclamant l’inclusion de nouvelles questions et un programme plus large de libéralisation du commerce régional. Le processus trilatéral signifiait aussi que le Mexique, malgré un niveau de développement et un régime politique différents, devrait accepter des obligations réciproques comparables à celles de l’ALÉ canado-américain s’il voulait être considéré comme un partenaire égal. Le président mexicain Salinas était favorable à un modèle de développement économique axé sur le marché et sur l’internationalisation croissante des flux du commerce et de l’investissement, et répondant aux pressions compétitives résultant des stratégies transnationales des entreprises. De fait, l’ALÉNA dans son ensemble, qui a trouvé ses partisans les plus vigoureux dans les milieux d’affaires des trois pays, doit sans doute être considéré comme un volet d’une tendance plus générale à la libéralisation des marchés au niveau régional et au niveau mondial, avec des disciplines régissant le comportement des gouvernements.

Fin 1992, les trois gouvernements ont conclu les négociations et signé l’ALÉNA. À ce moment-là, toutefois, un nouveau gouvernement démocrate dirigeait les États-Unis. La négociation d’accords parallèles en 1993 — sur la coopération environnementale (accord signé en août) et sur le travail (accord signé en septembre) –s’expliquait essentiellement par le souci du président Clinton d’atténuer les craintes américaines au sujet des conditions environnementales et du travail au Mexique. Bien que le Congrès ait alors ratifié l’ALÉNA par une marge très étroite, une majorité de démocrates a quand même voté contre. Fin 1993, le Canada venait d’élire un nouveau gouvernement libéral, qui avait exprimé des réserves au sujet de l’ALÉNA, notamment en ce qui concerne l’application continue des lois américaines de recours commercial (c.-à-d., l’imposition de droits antidumping et de droits compensatoires sur les exportations canadiennes). Dans une déclaration politique commune, les parties annoncèrent la mise sur pied de groupes de travail sur ces irritants avant l’approbation de la législation relative à l’ALÉNA par le Parlement canadien. Le traité lui-même est entré en vigueur comme prévu le 1er janvier 1994.

Éléments clés

L’ALÉNA crée une zone de libre-échange entre les trois pays et non une union douanière ou un marché commun, et encore moins une union économique. Cela veut dire que les parties restent libres d’appliquer des politiques commerciales distinctes envers les États tiers; de complexes « règles d’origine » ont été adoptées pour établir si des biens et services sont suffisamment nord-américains pour bénéficier des dispositions préférentielles de l’ALÉNA. On ne trouve dans l’accord quasiment aucune autre exigence formelle d’harmonisation des autres politiques économiques, ni aucun mécanisme d’ajustement pour faire face aux dislocations économiques. L’Accord ne parle pas non plus de la mobilité de la main-d’oeuvre, à part quelques dispositions destinées à faciliter l’entrée temporaire des gens d’affaires et des professionnels des secteurs libéralisés. Il n’en reste pas moins que l’ALÉNA est un traité exhaustif et de très vaste portée, qui étend le principe du « traitement national » —  lequel oblige les gouvernements à ne faire aucune discrimination entre les producteurs nationaux et les producteurs étrangers —  aux secteurs du commerce des services, des marchés publics et de l’investissement. L’ALÉNA est destiné à favoriser une circulation régionale plus libre des marchandises, des services et du capital, ce en quoi il avive la concurrence dans les trois pays, sauf dans les domaines pour lesquels il est explicitement indiqué que les règles de l’ALÉNA ne s’appliquent pas.

Voici quelques caractéristiques notables de l’ALÉNA(3).

  • Élimination progressive des tarifs douaniers sur les marchandises : pour ce qui est du commerce canadien avec les États-Unis, cette phase s’est achevée le 1er janvier 1998, conformément à l’échéancier de l’ALÉ; pour ce qui est du commerce avec le Mexique, cette phase devrait être quasiment achevée en 2003. Il y a eu plusieurs ententes pour accélérer la réduction des tarifs douaniers, la dernière remontant à avril 1998. Toutefois, les règles d’origine destinées à établir le contenu nord-américain ont été resserrées par rapport à celles de l’ALÉ pour ce qui est des textiles, de l’habillement et des produits automobiles(4).

  • Libéralisation substantielle du commerce des services et ouverture des marchés publics, y compris pour les services et pour la construction. Par rapport à l’ALÉ, tous les services sont inclus tant qu’ils n’ont pas été explicitement exclus. Plusieurs annexes définissent les mesures existantes ou futures aux paliers fédéral, provincial ou des États que chaque pays a choisi de « réserver », c.-à-d. d’exempter, des dispositions de l’ALÉNA.

  • Protection accrue pour les investisseurs ainsi qu’en ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle. Investisseurs américains et mexicains sont assujettis à un seuil d’examen préférentiel en vertu des règlements canadiens de contrôle de l’investissement étranger (s’appliquant actuellement seulement aux acquisitions directes de plus de 170 millions de dollars). En outre, l’ALÉNA établit une procédure controversée d’arbitrage investisseur-État autorisant des entreprises privées à poursuivre les gouvernements en cas d’allégation d’infraction aux droits de l’ALÉNA. Cette disposition a été invoquée plusieurs fois contre le Canada (voir la note de synthèse no 4 sur l’ALÉNA et l’environnement). Le code d’investissement de l’ALÉNA a aussi été présenté comme le prototype de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) en cours de négociation à l’OCDE.

  • En ce qui concerne l’énergie, le Mexique a pu conserver ses dispositions constitutionnelles sur la propriété publique exclusive, et il n’est pas assujetti à la disposition reprise de l’ALÉ canado-américain obligeant chaque partie à mettre à la disposition de l’autre une proportion de son approvisionnement énergétique restreint en cas de pénurie. Toutefois, le Canada a déclaré unilatéralement en décembre 1993 qu’il « interprète l’ALÉNA comme n’obligeant aucun Canadien à exporter un niveau ou une proportion donnée de quelque ressource énergétique que ce soit à un autre pays de l’ALÉNA ».

  • En ce qui concerne l’agriculture, le commerce États-Unis-Mexique et Canada-Mexique a été considérablement libéralisé. Le Canada a conservé son système de quotas pour les produits assujettis à la gestion de l’offre (produits laitiers et de la volaille), mais il a ensuite accepté la « tarification » et la libéralisation de ce secteur suite aux accords du GATT de l’Uruguay Round de 1994. Les exportations agricoles et les politiques d’importation canadiennes ont continué d’être contestées par les États-Unis. (En septembre 1998, le Canada a demandé des consultations aux termes de l’ALÉNA et de l’OMC au sujet de mesures prises par certains États américains à la frontière pour bloquer les camions canadiens qui transportent des bovins, des porcs et du grain. Les conséquences de l’accord sur l’agriculture et sur les collectivités rurales ont suscité des controverses au Mexique et ont été citées comme facteur ayant contribué aux émeutes de 1994 dans l’État du Chiapas.)

  • On reconnaît dans l’accord le droit de chaque pays à établir des normes de santé, de sécurité, d’environnement ou autres selon ses propres nécessités, et l’on ajoute que les normes ne devraient pas être abaissées. Toutefois, la force de ces protections est discutable. Les accords parallèles sur l’environnement et le travail établissent des procédures additionnelles pour renforcer le respect des normes nationales mais l’application de ces accords au Canada est tributaire d’un degré substantiel de consentement provincial. (Voir les notes de synthèse établies pour le panel no 2.)

  • Le Canada a conservé l’exemption qu’il avait négociée dans l’ALÉ pour les industries culturelles (l’édition, le cinéma, etc.). Cela permet cependant des mesures de rétorsion commerciale et, considérant les contestations incessantes des États-Unis, le degré de protection issu de cette exemption semble discutable. (Voir la note de synthèse établie pour le panel no 3.)

  • Établissement d’institutions permanentes de règlement des différends commerciaux et en matière d’investissement, pour remplacer et étoffer les dispositions temporaires de l’ALÉ. Bien que le Canada ait obtenu que les parties conviennent de continuer à oeuvrer à l’élaboration d’un ensemble plus satisfaisant de règles communes pour prévenir bon nombre de différends, le système complexe des groupes spéciaux d’arbitrage de l’ALÉNA repose sur le principe que chaque pays conserve dans toute leur plénitude ses propres lois de recours commercial. Les poursuites américaines contre certaines exportations canadiennes (notamment le bois d’oeuvre, l’acier, la viande de porc, le blé, le sucre et d’autres denrées) restent coûteuses et persistantes. (Voir la note de synthèse no 2 sur les différends commerciaux.)

L’ALÉNA est beaucoup plus institutionnalisé que ne l’était l’ALÉ canado-américain. Sa mise en oeuvre est supervisée par une Commission du libre-échange composée de représentants de rang ministériel des trois pays, et il existe aussi des commissions de rang ministériel qui surveillent la mise en oeuvre des accords relatifs à l’environnement et au travail. La Commission principale bénéficie des services d’un secrétariat composé de sections nationales. Un « secrétariat de coordination » trilatéral a été mis sur pied à Mexico fin 1997 pour seconder la Commission. On trouve ensuite une trentaine de comités intergouvernementaux, de groupes de travail et de sous-groupes qui s’occupent des divers aspects des dispositions de l’ALÉNA (le lecteur en trouvera la liste complète à l’annexe 2).

D’aucuns doutent que les institutions de l’ALÉNA soient suffisantes. Selon Stephen Randall : « Le fait de n’avoir pas établi dans le contexte de l’ALÉNA d’organisation-cadre pouvant prendre des décisions en étant relativement isolée des caprices de la politique intérieure de chaque pays reflète le caractère traditionnel de l’ALÉNA et la jalousie mutuelle de ses membres sur le plan de la souveraineté nationale»(5). Toutefois, un récent rapport préparé pour la Commission de coopération environnementale de l’ALÉNA, établie à Montréal, permet de penser que l’on voit apparaître peu à peu un véritable « régime ALÉNA » intergouvernemental caractérisé par « des signes évidents de modification profonde de la portée, de l’ampleur et des voies de la coopération entre les trois pays »(6). Certains critiques de l’ALÉNA ont reproché à l’accord de ne pas traiter adéquatement des questions sociales, contrairement à ce qui existe dans les institutions de la Communauté économique européenne (voir la note de synthèse no 6). Toutefois, ajouter des dispositions sociales à l’ALÉNA exigerait des transferts de souveraineté additionnels au palier trilatéral, ce qui susciterait des plaintes, qui sembleront familières aux oreilles européennes, sur le fait que les règles de l’ALÉNA constituent une ingérence excessive dans des questions de compétence nationale, et que les instances intergouvernementales de l’ALÉNA sont trop technocratiques et trop distantes du contrôle démocratique.

Évolution

L’ALÉNA semble avoir clairement augmenté les flux du commerce et de l’investissement dans la région nord-américaine, ainsi que leur importance pour le Canada. Plus de 82 p. 100 des exportations de marchandises du Canada en 1997 et plus de 70 p. 100 des importations concernaient des partenaires de l’ALÉNA, la quasi-totalité de ces échanges se traduisant par un commerce transfrontalier quotidien de 1,4 milliard de dollars avec les États-Unis. À titre de comparaison, indiquons que le commerce du Canada avec l’UE ne représente que 5 p. 100 des exportations et 10 p. 100 des importations. Le commerce des services avec les États-Unis vaut également plus de 50 milliards de dollars par année. Pour ce qui est du commerce avec le Mexique, il a augmenté de 80 p. 100 depuis 1993 mais il ne représente encore que moins de 0,5 p. 100 des exportations canadiennes, bien que les importations provenant du Mexique atteignent aujourd’hui la proportion de 2,5 p. 100. Les flux d’investissement entre les partenaires de l’ALÉNA ont fortement augmenté et atteignent aujourd’hui plus de 200 milliards de dollars. Encore une fois, bien que les investissements canadiens au Mexique se soient multipliés, la relation Canada-États-Unis domine encore à ce chapitre. Les investissements américains représentent près des deux tiers du total des investissements directs étrangers (IDE) au Canada.

Selon des études gouvernementales et privées, les premières années de l’ALÉNA se sont caractérisées par une création d’emplois positive dans l’ensemble. Toutefois, des organisations syndicales et d’autres critiques affirment que les chômeurs n’ont pas été aidés et que des milliers de bons emplois de l’industrie manufacturière sont partis au Sud à cause de la concurrence des bas salaires et de la restructuration des entreprises au sein d’un marché nord-américain intégré. Les analystes indépendants ont tendance à rejeter les conclusions à la fois de gains importants ou de pertes considérables causés par les accords commerciaux(7). Au demeurant, abstraction faite de la tendance croissante vers une intégration économique transnationale, les frontières nationales continuent d’influer grandement sur les flux des échanges(8). En outre, vu la persistance des barrières interprovinciales dans le cas du Canada, il reste encore beaucoup à faire au chapitre de la libéralisation du commerce intérieur.

Le débat politique qui continue au sujet de l’évolution et de l’incidence de l’ALÉNA porte moins sur la question de savoir s’il y a eu un gain de prospérité global que sur celle de déterminer si les avantages et les coûts sont équitablement répartis et si les contraintes imposées à l’action gouvernementale sont compatibles avec des valeurs démocratiquement établies telles que la protection environnementale et sociale. Pour le Canada, il est également fondamental de pouvoir préserver une identité culturelle distincte. Bien que l’on ait envisagé dans l’ALÉNA que d’autres pays puissent y accéder, et bien que le Canada ait pris position en faveur d’une telle adhésion pour des pays comme le Chili, de très sérieuses réserves sont exprimées dans chaque pays au sujet d’une nouvelle étape d’expansion du libre-échange, du fait de préoccupations d’ordre social et environnemental et d’autres questions d’intérêt public. Les États-Unis sont entravés à ce chapitre par le fait que le Congrès n’a pas renouvelé le pouvoir de négociation « accélérée » depuis 1994.

Par rapport à la trajectoire fortement institutionnalisée de l’intégration européenne, l’ALÉNA reste un instrument très limité pour faire face à de telles questions. Pourtant, au fur et à mesure que les processus d’intégration s’élargissent et s’approfondissent, les complications croissantes de la société civile et la dimension des valeurs dans les régimes naissants de commerce et d’investissement deviennent manifestes — par exemple, dans le débat public que suscite actuellement l’AMI et au moment où le Canada assume la présidence initiale des négociations hémisphériques vers une éventuelle zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). En outre, au cours des derniers mois, le ministre canadien des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, a défendu l’idée de « bâtir une communauté nord-américaine » en réponse à l’intégration économique régionale et aux plans d’action mondiaux (voir également la note de synthèse no 7)(9).

Pour ce qui est des relations futures entre les blocs économiques nord-américain et européen, il est évident qu’il y a encore de nombreuses différences entre les deux et que les pays de l’ALÉNA continuent de gérer séparément leurs relations respectives avec l’UE, dans le cadre de processus bilatéraux. Le Canada cherche pour sa part à négocier une entente bilatérale avec les pays de l’Association européenne de libre-échange (AELÉ)(10). Cela dit, la dynamique d’intégration régionale risque d’offrir de plus grandes occasions de convergence. Il y a plusieurs décennies, d’aucuns avaient espéré qu’un Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) différent — une zone de libre-échange nord-atlantique —  verrait le jour. L’option envisagée ne s’est jamais matérialisée, et les propositions récentes en vue d’établir une Zone de libre-échange transatlantique (ZLÉTA) se heurtent à de nombreux obstacles, mais peu d’observateurs nieraient qu’il est souhaitable de resserrer les liens économiques transatlantiques. La question est la suivante : comment doit-on s’y prendre compte tenu des réalités actuelles de l’ALÉNA et de l’Union européenne?(11)

Le Canada a également exprimé publiquement sa préférence pour un arrangement économique transatlantique « de communauté à communauté » qui serait bon pour chaque partie tout en étant conforme au mouvement de libéralisation globale du commerce (voir la note de synthèse no 9)(12). Même si le contexte actuel est peu favorable à un tel concept, celui-ci mérite sérieuse réflexion. En outre, comme l’affirmait récemment un ambassadeur canadien ayant oeuvré des deux côtés de l’Atlantique :

Le marché nord-américain est bon pour le Canada, mais les possibilités et engagements du Canada existent aussi au niveau global et on peut rationnellement affirmer qu’ils trouvent encore leur origine en Europe... En fait, le renforcement des liens entre l’Europe et l’Amérique du Nord risque bientôt d’être l’histoire de demain, pas d’hier(13).


 

ANNEXE 1

 

 LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE L'ALÉNA

   A. Droits de douane

  • La plupart des droits sur les échanges entre le Canada et le Mexique seront éliminés au bout d'une période de dix ans qui a débuté le 1er janvier 1994. Le Mexique éliminera graduellement ses tarifs sur le maïs et les lentilles sèches au cours d'une période de 15 ans. L'élimination graduelle des droits applicables aux échanges entre le Canada et les États-Unis s'échelonne sur dix ans conformément au calendrier prévu dans l'ALÉ.

   B. Règles d'origine

  • Pour avoir droit au traitement préférentiel, les biens doivent être fabriqués entièrement en Amérique du Nord ou, s'ils contiennent des intrants importés, avoir été suffisamment transformés pour être admissibles aux termes d'une classification tarifaire particulière. Certains articles, comme les automobiles et les pièces, les textiles et les produits électroniques doivent respecter des règles spéciales concernant le contenu nord-américain.

   C. Investissement

  • L'ALÉNA applique les principes du traitement national et du traitement accordé à la nation la plus favorisée aux investissements effectués par des investisseurs d'une autre partie.

  • Les seuils d'examen des investissements par Investissement Canada restent les mêmes que pour l'ALÉ.

  • Un mécanisme distinct de règlement des différends s'applique aux investissements.

   D. Services

  • Les principes du traitement national et du traitement accordé à la nation la plus favorisée s'appliquent au commerce transfrontalier des services.

  • Les services sociaux publics, les télécommunications de base et la plupart des services maritimes et aériens sont exclus expressément de l'accord.

Source : Anthony Chapman, L’Accord de libre-échange nord-américain : justification et enjeux, Étude générale 327-F, Ottawa, Direction de la recherche parlementaire, janvier 1993.

   E. Services financiers

  • Les principes du traitement national, du traitement accordé à la nation la plus favorisée, de la transparence et du droit d'établissement s'appliquent au commerce des services financiers.

  • La vente de services financiers outre-frontière est permise.

  • Les restrictions canadiennes concernant la propriété étrangère d'institutions financières régies par le gouvernement fédéral ne s'appliquent pas aux investisseurs mexicains.

  • Les institutions financières canadiennes et américaines pourront s'établir au Mexique et les limites quant à la part du marché disparaîtront en l'an 2000.

   F. Marchés publics

  • Les achats par les ministères et organismes publics désignés de biens et services d'une valeur de plus de 50 000 $ US et les services de construction de plus de 6,5 millions de dollars US sont ouverts à la concurrence des autres pays parties à l'ALÉNA.

  • Les seuils d'examen des achats d'entreprises gouvernementales sont de 250 000 $ US pour les biens et services et de huit millions de dollars US pour les services de construction.

  • Lorsque les achats sont visés par l'ALÉ, les seuils continuent de s'appliquer.

   G. Transport terrestre

  • L'ALÉNA prévoit l'élimination graduelle des obstacles à la prestation de services de transport terrestre entre les pays qui y sont parties. Ces services comprennent le transport par autocar et par camion et les services portuaires. Les services ferroviaires demeurent ouverts à la concurrence.

   H. Télécommunications

  • L'ALÉNA élimine les barrières relatives à l'accès aux services de télécommunications avancés (mais non aux services de base) en appliquant les principes de la transparence et de la non-discrimination.

  • L'ALÉNA limite les types de mesures de normalisation pouvant être imposés lorsque du matériel de télécommunications est rattaché aux réseaux publics.

   I. Agriculture

  • Les contingents essentiels au maintien du système canadien de gestion de l'offre des produits laitiers, de la volaille et des oeufs sont maintenus.

  • Les licences d'importation dans les secteurs où il existe des échanges entre le Canada et le Mexique seront remplacées par des droits de douane ou des contingents tarifaires.

  • Les limites canadiennes à l'importation de blé, d'orge, de boeuf, de veau et de margarine sont abolies immédiatement.

   J. Examen des questions relatives aux droits antidumping et compensateurs

  • L'ALÉNA reprend les dispositions de l'ALÉ sur le règlement des différends relativement aux droits antidumping et droits compensateurs par des groupes spéciaux dont les décisions sont exécutoires.

  • Un comité spécial peut être créé sur demande afin de déterminer si les lois d'un pays empêchent le groupe spécial de prendre une décision.

   K. Dispositions institutionnelles et mécanismes de règlement des différends

  • La Commission du commerce, l'institution centrale de l'ALÉNA formée des ministres du Commerce extérieur de chaque pays, se rencontrera tous les ans.

  • Un Secrétariat sera établi pour servir la Commission ainsi que les groupes subalternes et les groupes chargés du règlement des différends.

  • Dans le cas des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de l'accord, la procédure prévoit des consultations, puis un examen par la Commission du commerce et enfin un examen par un groupe chargé du règlement des différends.

   L. Automobiles

  • Le Canada et le Mexique élimineront leurs droits de douane : réduction immédiate de 50 p. 100 sur les automobiles et élimination du reste échelonnée sur dix ans; réduction immédiate de 50 p. 100 sur les camions légers et élimination du reste échelonnée sur cinq ans; pour les autres véhicules, l'élimination sera échelonnée sur dix ans.

  • Les véhicules de tourisme, les camions légers, ainsi que les moteurs et les transmissions de ces véhicules devront avoir un contenu nord-américain de 62,5 p. 100, calculé en fonction des coûts nets; les autres véhicules devront atteindre un contenu nord-américain de 60 p. 100.

   M. Textiles et vêtement

  • La plupart des textiles ou des vêtements doivent être fabriqués à partir de filés de fabrication nord-américaine; les filés de coton et synthétiques doivent être fabriqués à partir de fibres nord-américaines.

  • En vertu des contingents tarifaires, les fibres, les tissus et les vêtements qui ne respectent pas les règles d'origine peuvent tout de même avoir droit au traitement préférentiel jusqu'à concurrence des niveaux d'importation stipulés.

   N. Énergie et produits pétrochimiques de base

  • Le partage proportionnel prévu dans l'ALÉ est maintenu pour les échanges entre le Canada et les États-Unis, mais cette disposition ne s'applique pas au commerce avec le Mexique.

  • Le Mexique ouvre ses usines de produits chimiques autres que de base et ses centrales électriques à l'investissement privé; l'investissement dans les autres industries énergétiques et dans les industries pétrochimiques de base du Mexique demeure la chasse gardée de l'État.

   O. Autres mesures

  • Des disciplines sont imposées sur l'élaboration, l'adoption et l'application de mesures sanitaires et phytosanitaires.

  • Des disciplines sont imposées sur l'application des normes techniques.

  • Des règles et procédures sont établies au sujet des mesures de « sauvegarde » prises afin d'aider temporairement les industries intérieures subissant un préjudice du fait de l'augmentation des importations.

  • Des disciplines sont établies au sujet des pratiques anticoncurrentielles des entreprises du secteur public et du secteur privé.

  • L'ALÉNA exige que chaque pays protège ses droits de propriété intellectuelle.

  • L'entrée temporaire des gens d'affaires est prévue.

  • Tout comme le prévoit l'ALÉ, les industries culturelles canadiennes restent exclues mais les États-Unis conservent aussi le droit de prendre des mesures ayant un effet commercial équivalent.

  • D'autres pays ou groupes de pays pourraient adhérer à l'accord si les pays signataires de l'ALÉNA donnaient leur aval.

  • Tout pays peut dénoncer l'accord en donnant un préavis de six mois.


ANNEXE 2

ORGANISMES INTERGOUVERNEMENTAUX DE L’ALÉNA

COMMISSION DU LIBRE-ÉCHANGE (CLÉ)

Secrétariat de coordination de l’ALÉNA

Secrétariat de la CLÉ

Comité du commerce des produits

Groupe de travail sur les règles d’origine

  • Sous-groupe des questions douanières

Comité du commerce d’articles de friperie

Comité du commerce des produits agricoles

  • Groupe de travail sur les normes de classement et de commercialisation des produits
  • Groupe de travail sur les subventions agricoles
  • Comité consultatif des différends commerciaux privés concernant les produits agricoles
  • Groupe de travail sur l’administration des contingents tarifaires

Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires

Groupe de travail technique sur les pesticides

Groupes de travail trilatéraux ou bilatéraux adoptés de l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis

  • Inspection des viandes, de la volaille et des oeufs
  • Protection des plantes, semences et engrais
  • Hygiène vétérinaire
  • Inspection des produits laitiers, des fruits et des légumes
  • Médicaments et aliments pour animaux
  • Additifs pour aliments, boissons et colorants et contaminants inévitables
  • Emballage et étiquetage
  • Inspection du poisson et des produits de la pêche

Comité des mesures normatives

Sous-comité des normes relatives aux transports terrestres

  • SCNTT I – Normes conducteurs, véhicules et conformité
  • SCNTT II – Poids et dimensions des véhicules
  • SCNTT III – Appareils de contrôle de la circulation
  • SCNTT IV – Normes chemins de fer
  • SCNTT V – Marchandises et matières dangereuses
  • Sous-comité des normes de télécommunications
  • Conseil des normes automobiles
  • Sous-comité de l’étiquetage des produits textiles et des vêtements

Source : NAFTA’s Institutions : The Environmental Potential and Performance of the NAFTA Free Trade Commission and Related Bodies, Montréal, Commission for Environmental Cooperation, 1997, Annexe A, p. 67-69.

Groupe de travail sur les marchés publics

Comité des petites entreprises

Comité des services financiers

Groupe de travail sur le commerce et la concurrence

Groupe de travail sur l’admission temporaire

Comité consultatif des différends commerciaux privés

Groupe de travail sur les mesures d’urgence

Groupe de travail sur les subventions et les droits compensateurs

Groupe de travail sur le dumping et les droits antidumping

Groupe de travail sur l’investissement et les services

COMMISSION DE COOPÉRATION ENVIRONNEMENTALE (CCE)

Conseil de la CCE

Secrétariat de la CCE

Comité consultatif public mixte

Comités consultatifs nationaux

COMMISSION DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL (CCDT)

Conseil de la CCDT

Secrétariat de la CCDT

Bureaux administratifs nationaux (BAN)

Comités consultatifs nationaux

PROCESSUS D’EXAMEN

Processus d’examen à long terme — Automobile

Processus d’examen à long terme — GATT/OMC

INSTITUTIONS INSPIRÉES DE L’ALÉNA

Groupe sur l’étiquetage en matière d’efficacité énergétique

Groupe sur la santé

Groupe consultatif sur les transports

Border Environment Cooperation Commission

North American Development Bank


NOTE NO 2 : LES MÉCANISMES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
DE L’ALÉNA : STRUCTURE ET RÉSULTATS

Le fonctionnement des institutions de règlement des différends

L’ALÉNA repose sur les mécanismes novateurs qui ont été établis comme volet crucial de l’ALÉ entre le Canada et les États-Unis, et il les prolonge. L’une des principales motivations de la négociation du libre-échange bilatéral par le Canada était d’obtenir une certaine protection contre la montée du protectionnisme aux États-Unis, c’est-à-dire essentiellement les lois de recours commercial autorisant l’imposition de droits antidumping (DA) ou compensatoires (DC) en guise de rétorsion contre des importations du Canada que des concurrents américains prétendaient être sous-tarifées ou subventionnées de manière déloyale. L’objectif canadien était et demeure de remplacer ces recours controversés et dispendieux par un ensemble de règles nord-américaines convenues. Les États-Unis ont toujours été très réticents à accepter des concessions dans ce domaine. Comme l’indique Gilbert Gagné : « Étant donné les divergences entre les autorités canadiennes et américaines, ce qui a été accepté a été un mécanisme « provisoire », composé essentiellement de groupes binationaux chargés d’examiner les décisions de DA et de DC pour voir si les lois nationales de recours commercial ont été correctement appliquées. Ces dispositions devaient être provisoires dans l’ALÉ, dans l’attente d’un régime commun en matière de dumping et de subventions »(14). L’ALÉNA prévoyait une période de cinq à sept ans pour négocier un tel régime. Considérant la réticence américaine à renoncer aux lois nationales, il est tout à fait concevable que le régime provisoire d’examen binational de l’ALÉ n’aurait pas survécu au-delà de cette période si l’ALÉNA n’avait pas été négocié.

L’ALÉNA établit toutefois de manière permanente le recours à des groupes d’examen binationaux, dans son chapitre 19, ainsi que d’autres procédures institutionnelles de règlement des différends concernant n’importe laquelle des trois parties(15). On trouve également des dispositions générales de règlement des différends au chapitre 20 de l’accord. Si l’on constate des contradictions avec les obligations de l’ALÉNA qui ne peuvent être résolues au moyen de consultations devant la Commission du libre-échange trilatérale, l’ALÉNA autorise la mise sur pied de groupes d’arbitrage de cinq membres choisis dans une liste tenue par la Commission et pouvant contenir jusqu’à 30 noms de personnes accréditées et nommées par consensus pour des périodes renouvelables de trois ans. Il existe d’autres mécanismes de règlement des différends dans d’autres chapitres de l’ALÉNA, notamment l’importante procédure d’arbitrage investisseur-État pour les questions d’investissement (chapitre 11)(16) et des modifications aux procédures générales en ce qui concerne les problèmes de services financiers (chapitre 14). Précisons enfin que les commissions de coopération dans le domaine de l’environnement et du travail disposent de leurs propres procédures de règlement des différends, dont nous traiterons dans les notes relatives à l’Atelier II. Pour le moment, nous nous intéresserons uniquement au domaine principal des différends commerciaux ayant touché le Canada pendant la décennie ayant suivi l’entrée en vigueur de l’ALÉ, c’est-à-dire les affaires de DA et de DC susmentionnées, qui sont couvertes par les dispositions complexes du chapitre 19 de l’ALÉ/ALÉNA.

En vertu de ce système, chaque pays conserve ses propres lois nationales de recours commercial, bien que chacun ait l’obligation de ne pas les modifier d’une manière qui irait à l’encontre du GATT/OMC ou de l’esprit de l’ALÉNA. Cela pourrait en soi faire l’objet d’une procédure de règlement des différends, bien qu’il n’y ait encore eu aucune cause à ce sujet jusqu’à présent. L’élément central du chapitre 19 est que les décisions finales des tribunaux commerciaux nationaux en matière de DA et de DC sont assujetties à l’examen de groupes binationaux au lieu d’un examen judiciaire national. Pour ce faire, on a prévu dans l’ALÉ l’établissement d’une liste de 50 spécialistes du droit commercial international —  25 désignés par le Canada et 25 par les États-Unis; en pratique, les États-Unis ont étendu leur liste à 50 du fait de leur difficulté à choisir des candidats sans conflit d’intérêts. Les candidats sont censés être indépendants de toute allégeance ou instruction gouvernementale. Les groupes d’examen sont composés de cinq membres —  deux nommés par chaque partie après consultations mutuelles, et le cinquième par consensus; en cas d’absence de consensus, le cinquième est choisi par accord des quatre déjà nommés ou, si tout accord est impossible, par tirage au sort parmi les noms de la liste globale. Dans la version du chapitre 19 qui figure dans l’ALÉNA, la liste a été portée à au moins 75 noms et l’on a prévu une procédure de sélection similaire, à quelques différences importantes près. Si les deux parties au différend ne peuvent s’entendre sur un cinquième membre, c’est un pays tiré au sort qui choisira ce membre parmi la liste. Il se pourrait donc fort bien que le Mexique choisisse le cinquième membre pour un différend concernant le Canada et les États-Unis. La liste de l’ALÉNA doit comprendre dans toute la mesure du possible des juges ou ex-juges, concession faite aux États-Unis qui espéraient que cela aurait un effet modérateur sur les décisions d’examen.

Les procédures de l’ALÉNA sont plus fermement établies et peuvent être considérées comme techniquement plus rigoureuses que celles de l’ALÉ. Il importe toutefois de souligner que les groupes d’examen de l’ALÉNA, comme ceux de l’ALÉ, sont seulement habilités à déterminer si la législation commerciale du pays importateur a été correctement appliquée dans le cas d’espèce. L’examen se limite « au dossier administratif et à la norme d’examen de la partie dont l’ordonnance de recours est contestée. Autrement dit, les groupes d’examen ne font pas un nouveau procès et ne peuvent pas substituer leur jugement à celui des autorités étatiques. La législation américaine de mise en oeuvre de l’ALÉ dispose clairement que les décisions des groupes d’examen ne constituent pas des précédents exécutoires, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas loi »(17). Toute demande officielle de mise sur pied d’un groupe d’examen au titre de l’ALÉNA doit être formulée dans les 30 jours d’une décision finale de DA ou DC par l’organisme pertinent (p. ex., le Département du commerce des États-Unis ou la Commission commerciale internationale dans des plaintes formulées contre des importations canadiennes). La décision finale du groupe d’examen doit être livrée au plus tard 315 jours après la date de demande et elle est normalement exécutoire pour les parties, des mesures de rétorsion pouvant être autorisées en proportion du préjudice si elle n’est pas appliquée. Il existe toutefois des cas exceptionnels dans lesquels la décision d’un groupe d’examen peut être contestée : si l’on prétend que la décision du groupe et l’intégrité du processus d’examen ont été sensiblement influencées par le fait qu’un membre du groupe a été coupable d’inconduite flagrante ou d’un sérieux conflit d’intérêts, ou si un groupe d’examen a enfreint les règles fondamentales de procédure ou outrepassé sa compétence. Dans ce cas, l’ALÉNA prévoit la mise sur pied d’un « comité de contestation extraordinaire » (CCE) composé de trois juges(18) et qui dispose de 90 jours pour décider de confirmer, de renvoyer ou d’infirmer la décision du groupe spécial.

Les résultats du règlement des différends, selon le Canada

Comme nous l’avons indiqué, l’ALÉNA ne prévoit pas le remplacement des lois de recours commercial par un quelconque système de règles nord-américaines communes. Il n’existe que la déclaration, acceptée fin 1993 à l’insistance du Canada, que des groupes de travail s’efforceront d’élaborer des codes bilatéraux sur les questions de dumping et de subventions pour la fin de 1995. Ces efforts semblent cependant avoir été bien peu fructueux(19). De fait, l’opinion générale au sein du Congrès américain est que les États-Unis ont déjà fait trop de concessions en ce qui concerne leur possibilité de déployer leur arsenal commercial contre de prétendues pratiques « déloyales » de leurs principaux partenaires commerciaux. On semble penser que le Canada, pays plus petit, a été favorisé par un processus d’examen binational qui lui accorde des droits égaux et qui est destiné à être impartial et isolé des pressions politiques qui peuvent s’exercer sur les organismes nationaux appliquant les lois commerciales. En même temps, la culture commerciale qui prévaut aux États-Unis repose toujours sur l’idée de limiter le plus possible la révision internationale de leurs mesures commerciales, alors que le Canada ne cesse de réclamer des règles internationales plus rigoureuses.

Il est vrai que le Canada a connu un succès considérable dans les causes qu’il a gagnées devant les groupes spéciaux du chapitre 19. Analysant le dossier cumulatif de plus de 35 décisions finales de groupes spéciaux entre 1989 et 1997, Homer Moyer, célèbre avocat américain spécialiste du droit commercial qui a représenté des intérêts canadiens à Washington, a trouvé un « taux de succès » de près de 60 p. 100 pour le Canada, de manière générale, ainsi qu’une diminution du nombre de nouvelles causes lancées depuis 1994 (voir l’annexe 1)(20). Bien que les résultats aient été à peu près également partagés dans les affaires de dumping, le Canada a clairement gagné la majorité des causes relatives à l’imposition de droits compensatoires ou concernant des décisions de « préjudice » pour des producteurs américains. C’est au sujet des décisions des organismes américains concernant des causes de DC relatives à des subventions canadiennes prétendument incorrectes que les groupes spéciaux ont formulé le plus de reproches. Dans l’ensemble, les décisions des groupes spéciaux ne reflètent aucune préférence nationale et, selon Moyer, elles ont produit des normes constructives de révision juridique et débouché sur des conclusions de qualité, même si les responsables du commerce et les politiciens des États-Unis sont réticents à en convenir. Jusqu’à présent, le Canada a gagné dans les trois causes où les États-Unis invoquaient la procédure de contestation extraordinaire pour attaquer des décisions de groupes spéciaux favorables au Canada. Deux de ces décisions de CCE furent unanimes.

Hélas, la troisième cause concernait le différend notoirement interminable et fortement politisé touchant les exportations canadiennes de bois d’oeuvre, différend important qui remonte aux négociations bilatérales originelles de l’ALÉ et qui constitue la cause la plus importante de toutes celles jamais intentées par les États-Unis en matière de recours commercial. Depuis lors, le Canada a gagné pas moins de cinq décisions consécutives ALÉ/ALÉNA dans les causes à répétition intentées par des producteurs américains sur le bois d’oeuvre. Et ce résultat a été confirmé en appel par un CCE. Il s’agissait toutefois d’une décision partagée, à deux contre un, dans laquelle le seul juge américain exprimait vigoureusement sa dissidence, offrant ainsi des munitions aux critiques américains du système. D’autres poursuites juridiques intentées par des producteurs américains de bois d’oeuvre et par d’autres lobbies industriels prétendant que l’examen binational dans le cadre de l’ALÉNA enfreint la Constitution des États-Unis ont aussi échoué. Celle intentée par la American Coalition for Competitive Trade fut rejetée en novembre 1997, et une nouvelle poursuite constitutionnelle anti-ALÉNA, de portée plus large, a été intentée devant une cour fédérale des États-Unis en juillet 1998 par la Made in U.S. Foundation et par les Métallurgistes unis d’Amérique. Jusqu’à présent, les retombées de ces attaques semblent avoir été circonscrites. Mais ce qui inquiète sérieusement les Canadiens, c’est de constater que la campagne de harcèlement entreprise non seulement contre des secteurs clés d’exportation de denrées canadiennes mais aussi contre le principe même de l’examen binational n’en continue pas moins vigoureusement. De fait, comme dans l’affaire du bois d’oeuvre, le résultat est que le Canada a finalement accepté de négocier des ententes bilatérales en dehors des règles de l’ALÉNA, ententes qui ont pour effet de limiter les exportations en échange d’une suspension temporaire des mesures commerciales américaines.

D’autres analyses des résultats du règlement des différends révèlent que, de manière plus générale, les mécanismes ALÉ/ALÉNA n’ont pas comblé les espoirs de ceux qui pensaient qu’ils empêcheraient les États-Unis d’intenter des poursuites en recours commercial pour harceler les exportateurs canadiens. Après avoir examiné les 19 décisions de groupes spéciaux binationaux concernant des déterminations américaines de DA ou DC dans la période 1989-1993(21), Gagné convient qu’elles ont produit certains bénéfices. Dans certains cas, notamment en ce qui concerne les exportations canadiennes de viande de porc, ces décisions ont imposé l’annulation ou le remboursement de droits américains mais, dans d’autres domaines, leur incidence a été minime et les droits ont été maintenus(22). Plus important encore, il estime que, pendant la période d’application de l’ALÉNA, le mécanisme de règlement des différends a été miné par les sérieux problèmes ci-après, sous-jacents et interreliés, en tout cas du point de vue canadien.

  • La portée limitée de l’examen juridique du groupe spécial n’a pas valeur de précédent et les autorités américaines peuvent donc faire fi des décisions antérieures lorsque des causes similaires sont intentées à répétition par des lobbies commerciaux américains têtus (le cas le plus notoire étant celui des exportations canadiennes de bois d’oeuvre).

  • Le processus de groupe spécial est censé déboucher sur des décisions exécutoires rapides mais certaines causes irritantes (comme ci-dessus) ont souffert de retards excessifs et dispendieux ainsi que de renvois successifs devant des agences américaines refusant constamment d’appliquer les conclusions du groupe spécial. Certains différends deviennent donc interminables et les pertes s’accumulent, même lorsque le groupe spécial a rendu un jugement favorable au Canada.

  • Le harcèlement continu des lobbies commerciaux américains nonobstant les « victoires » canadiennes devant des groupes spéciaux peuvent amener les autorités canadiennes à accepter des compromis politiques ponctuels pour résoudre les différends (ce qui est précisément ce que l’ALÉNA était censé éviter; encore une fois, le bois d’oeuvre en est le meilleur exemple mais les États-Unis comptent aussi demander au Canada de limiter ses exportations de blé).

  • Le Canada n’a pas invoqué les dispositions de l’ALÉNA pour contester la législation américaine de mise en oeuvre de l’ALÉ/ALENA et du GATT/OMC qui incluait des positions et interprétations américaines unilatérales destinées à renforcer l’application des recours commerciaux américains, lesquels peuvent toujours être pleinement invoqués contre les exportations canadiennes. De plus, le gouvernement canadien subit les pressions de certains secteurs industriels touchés (notamment l’acier) pour qu’il réponde en renforçant ses propres recours commerciaux. Il s’agit en fin de compte d’un jeu de ping-pong punitif qui pourrait provoquer encore plus de poursuites des deux côtés au lieu de la convergence souhaitée vers une interprétation commune des règles.

  • Le mandat du groupe de travail sur les recours commerciaux s’est terminé en 1995 sans « une suggestion même timide de remplacement éventuel des recours commerciaux » (ce qui était à l’origine une condition canadienne pour ratifier un ALÉ avec les États-Unis).

  • Les groupes spéciaux se sont révélés être au mieux une réponse très partielle au protectionnisme américain car, « pour de nombreux intérêts américains, le mécanisme de règlement des différends n’est qu’une étape d’un effort beaucoup plus vaste par lequel ils espèrent obtenir l’intervention de leur gouvernement pour les aider sur le marché en obtenant une protection contre la concurrence des importations ».

Gagné résume ainsi son évaluation : « Bien que plus de 80 causes aient été portées devant des groupes spéciaux binationaux, la plupart concernaient des problèmes limités, de portée économique et politique circonscrite. Bien que ces causes aient eu tendance à être réglées de manière satisfaisante après l’examen du groupe spécial, les causes fortement politisées concernant de gros volumes commerciaux ont fait ressortir les limites du mécanisme binational »(23). Le gouvernement canadien porte un jugement beaucoup plus positif sur l’efficacité des mécanismes de règlement des différends de l’ALÉNA, en prétendant souvent que quelque 95 p. 100 d’un énorme commerce transfrontalier ne posent aucun problème(24). Il n’en reste pas moins que l’on convient généralement que le Canada n’a pas atteint son objectif d’accès assuré aux marchés pour ses exportations. À preuve, cet extrait d’une publication récente : « Malgré le succès évident des procédures prévues au chapitre 19 de l’ALÉ et de l’ALÉNA, le Canada continue de considérer que les recours commerciaux n’ont pas leur place dans une zone de libre-échange. C’est pourquoi il entend poursuivre ses efforts en vue d’obtenir une réforme significative, sinon l’élimination, de ces mesures en Amérique du Nord »(25).

Les experts canadiens de droit commercial conviennent qu’un quelconque renforcement éventuel des règles de l’ALÉNA produirait encore beaucoup moins que le régime centralisé mis en place dans le Marché commun européen. Quoi qu’il en soit, bon nombre estiment que le cadre institutionnel nord-américain de résolution des différends commerciaux doit être sérieusement renforcé. Selon Lawrence Herman, « une certaine forme de permanence [des groupes binationaux de l’ALÉNA] contribuerait à donner plus de cohérence à la jurisprudence tout en créant au moins un organisme central ayant un intérêt acquis permanent envers le système général de l’ALÉNA, par opposition à des secrétariats nationaux ayant chacun un point de vue particulier, et à des groupes spéciaux dont les membres se réunissent, décident puis disparaissent pour reprendre leurs activités respectives, sans qu’on les revoie jamais »(26). William Graham, ancien professeur de droit commercial international présidant le Comité des affaires étrangères et du commerce de la Chambre des communes du Canada, qui a tenu des audiences sur la mise en oeuvre des mécanismes de règlement des différends commerciaux, convient qu’il devrait y avoir un tribunal permanent de l’ALÉNA(27). Toutefois, lors de réunions récentes dans la capitale américaine, Jeffrey Schott, du Institute for International Economics, a mis le Comité en garde contre toute réouverture des dispositions de l’ALÉNA, en disant que ce serait dangereux dans le contexte politique américain d’aujourd’hui.

Comme le Canada ne peut pas faire grand-chose dans l’immédiat pour corriger les sérieuses faiblesses des mécanismes de l’ALÉNA, il ferait mieux, affirme Robert Howse dans une nouvelle étude, de porter les causes les plus complexes devant les groupes spéciaux de l’OMC, dont le système a été considérablement renforcé par rapport à ceux qui existaient avec le GATT. Howse recommande aussi que le Canada continue de réclamer l’amélioration du processus de l’ALÉNA, notamment par l’établissement d’un tribunal permanent, mais il croit que l’OMC offre aujourd’hui une option efficace pour régler certains différends (comme celui du bois d’oeuvre) qui ont jusqu’à présent échappé à toute résolution satisfaisante dans le cadre de l’ALÉNA(28).

Un autre facteur de portée encore plus vaste est l’absence de processus public démocratique d’examen des causes soumises aux mécanismes de règlement des différends, dans lesquels des « intérêts spéciaux » du secteur privé ont tendance à jouer un rôle dominant en coulisses. Comme l’affirme Henry Jacek : « L’intérêt public a peu à voir avec le mécanisme de règlement des différends. Les aspects des différends qui concernent les consommateurs, les travailleurs et l’environnement sont laissés de côté. Certes, il s’agit en apparence de désaccords entre des États nationaux mais, bien souvent, les gouvernements ne sont que les substituts ou les agents d’intérêts commerciaux organisés »(29). De plus, des lobbies industriels concurrents produisent bon nombre des informations utilisées pour plaider les causes, les procédures d’examen ont tendance à être spécialisées et secrètes, et « il n’existe pas de règles commerciales communes, surtout quand il s’agit de subventions gouvernementales et de politiques de prix différentielles des entreprises »(30). Cela étant, décider qui a tort ou raison dans ce domaine risque encore en pratique de dépendre plus de qui est capable de mener de longues batailles juridiques dispendieuses que de savoir quel serait le meilleur résultat du point de vue de la société.

En bref, même si les mécanismes de règlement des différends de l’ALÉNA ont présenté un considérable intérêt pour les exportateurs canadiens, ils n’offrent aucune garantie d’accès aux marchés et ils n’ont pas non plus été conçus pour tenir compte des questions d’intérêt public plus générales touchant les aspects politiques et sociaux d’un espace économique nord-américain de plus en plus intégré.


ANNEXE

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PANEL NO 2

LES COMMISSIONS DE L’ALÉNA :
ENVIRONNEMENT ET TRAVAIL

 

NOTE NO 3 : MANDAT ET ÉVOLUTION DES COMMISSIONS
SPÉCIALISÉES DE L’ALÉNA

Comme nous avons indiqué dans la note no 1 ainsi que dans son annexe 2, l’ALÉNA a provoqué la création d’un certain nombre d’institutions de mise en oeuvre, d’organismes subsidiaires et de groupes de travail trilatéraux. L’entité la plus importante à ce chapitre est la Commission du libre-échange, qui se réunit au moins une fois par année au niveau ministériel, et qui est appuyée par des secrétariats de travail. Les mandats et fonctions de ces entités sont énoncés dans le texte principal de l’ALÉNA publié en décembre 1992. On ne trouve cependant dans ce texte aucune disposition particulière en matière de normes environnementales et du travail. Toutefois, le président Clinton avait pris l’engagement de respecter sa promesse électorale de 1992 concernant la négociation d’accords parallèles ou subsidiaires sur l’environnement et sur le travail avant la ratification du traité par le Congrès, initiative qu’appuyait le Canada. Cela a débouché sur un Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACE) signé en août 1993, et d’un Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), signé en septembre 1993. Ces « accords parallèles » sont entrés en vigueur (à quelques exceptions importantes près dans le cas du Canada, comme nous le verrons plus loin) en même temps que l’accord principal, le 1er janvier 1994. Pour assurer la mise en oeuvre de ces accords, on a créé deux autres commissions de niveau ministériel —  la Commission de coopération environnementale, située à Montréal, et la Commission de coopération dans le domaine du travail (CCT), située à Dallas.

L’ANACE et la Commission de coopération environnementale (31)

Bien que l’Accord de coopération environnementale de l’ALÉNA n’établisse pas de normes environnementales communes que devraient respecter les pays de l’ALÉNA, on y trouve des dispositions impératives vigoureuses concernant l’obligation pour les partenaires d’appliquer des normes élevées de manière autonome et de coopérer pour atteindre des objectifs environnementaux. Ainsi, chaque partie doit veiller à ce que ses lois et règlements établissent des niveaux élevés de protection environnementale, et s’efforcer de continuer à améliorer ses lois et règlements. Plusieurs instruments et procédures sont prévus à cette fin, notamment en ce qui concerne l’éducation et la recherche, des techniques appropriés d’évaluation et d’exécution, des droits et pouvoirs juridiques d’enquête, etc. La principale institution trilatérale établie en vertu de l’ANACE est la Commission de coopération environnementale (CCE) qui se compose d’un Conseil de direction, d’un Secrétariat et d’un Comité consultatif public mixte (CCPM). De plus, la CCE a créé en 1995 le Fonds nord-américain de coopération environnementale (FNACE) pour financer des projets communautaires de protection de l’environnement dans les trois pays.

Le Conseil est un organisme de haut niveau — comprenant des ministres ou leurs représentants — qui se réunit au moins une fois l’an pour se pencher sur toutes les politiques publiques relatives à l’environnement touchées par les accords de l’ALÉNA et pour adresser des recommandations à ce sujet aux gouvernements de l’ALÉNA. Le Secrétariat de Montréal assume des fonctions variables : il prépare un rapport annuel au Conseil, ainsi que des évaluations périodiques sur l’état de l’environnement dans chaque pays; il peut produire des rapports sur d’autres questions qui lui sont soumises si au moins deux pays sont d’accord; et il assure la mise en oeuvre du programme de travail coopératif de la CCE. Les premières questions envisagées par la CCE portaient sur l’établissement de limites pour certains polluants atmosphériques et marins, l’évaluation environnementale de projets ayant une incidence transfrontalière, et l’établissement de mécanismes réciproques d’accès aux tribunaux en cas de dommages ou de préjudice résultant de la pollution transfrontalière. Ses domaines d’intérêt plus récents comprennent l’élaboration de plans d’action pour la gestion régionale des produits chimiques dangereux et le lancement de projets sur le changement climatique. Le Secrétariat peut aussi se pencher sur des interventions non gouvernementales alléguant qu’une partie n’appuie pas efficacement sa législation environnementale, ce qui déclenche un processus à date limite dans lequel la partie accusée doit répondre et le Conseil peut, par un vote des deux tiers, autoriser la production et la divulgation publique d’un « dossier factuel ». Finalement, le CCPM de 15 membres se compose de cinq citoyens de chaque pays et il contribue au programme et aux questions budgétaires de la CCE. Un comité peut aussi mettre sur pied son propre comité consultatif public national en lui donnant le pouvoir de choisir ses représentants au CCPM.

L’ANACE contient des procédures de règlement des différends lorsqu’un pays est accusé par ses partenaires de l’ALÉNA d’échec patent à appliquer ses lois environnementales dans un secteur touché par le commerce de l’ALÉNA. Si aucun progrès n’est réalisé après une période initiale de consultations et une réunion spéciale du Conseil, on peut autoriser par un vote des deux tiers la mise sur pied d’un groupe d’arbitrage de cinq membres (choisis dans une liste de 45, soit 15 pour chaque pays, avec une procédure de sélection similaire à celle des groupes spéciaux en vertu de l’accord général). Les pays ont la possibilité de répondre aux constatations initiales du groupe d’arbitrage avant que le rapport final de celui-ci, contenant ses recommandations éventuelles en matière de correctifs, soit remis au Conseil et rendu public. Si des correctifs sont indiqués mais que les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un plan d’action satisfaisant, le groupe d’arbitrage peut être reconvoqué pour faire le travail. Celui-ci peut aussi imposer une « amende d’exécution », c’est-à-dire une amende qui doit être payée au Conseil et qui ne peut dépasser 20 millions de dollars US pendant la première année de l’ALÉNA ou, pendant les années suivantes, 0,007 p. 100 de la valeur du commerce régional combiné. Si les mesures recommandées ne sont toujours pas exécutées, on peut appliquer des sanctions commerciales équivalant au montant de l’amende. Le Canada a toutefois réussi à se dispenser de cette dernière disposition qui ne s’applique donc qu’aux États-Unis et au Mexique. De ce fait, si le Canada refusait de payer une amende imposée par un groupe d’arbitrage, la CCE pourrait s’adresser aux tribunaux canadiens pour obtenir une ordonnance d’exécution juridique.

Il existe un autre aspect très important sous lequel l’ANACE permet un « régime spécial » pour le Canada, du fait de la répartition constitutionnelle des pouvoirs en matière d’environnement(32). Dans les domaines qui sont clairement de la compétence du gouvernement fédéral, il n’y a aucun problème. Par contre, dans les domaines de compétence provinciale, il faut d’abord que les provinces canadiennes acceptent d’être liées par l’accord pour que ses dispositions puissent s’y appliquer. En outre, le gouvernement fédéral ne peut porter de causes environnementales devant des organismes de l’ALÉNA sur des questions de compétence provinciale à moins d’avoir obtenu l’accord de provinces représentant au moins 55 p. 100 du PIB canadien, et qu’au moins 55 p. 100 de la production du secteur ou de l’industrie concernée n’émanent de provinces liées par l’ANACE. De même, les États-Unis et le Mexique ne peuvent intenter de poursuites environnementales contre des provinces canadiennes si les seuils de 55 p. 100 ne sont pas atteints. En 1994, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont négocié une « entente intergouvernementale » établissant des modalités communes d’exécution de l’ANACE. Il a cependant fallu attendre 1996 pour que l’Alberta devienne la première province à ratifier l’entente, suivie depuis par le Québec et par le Manitoba. Par contre, la plus grande province canadienne, l’Ontario, qui représente plus de 40 p. 100 du PIB et près de la moitié du commerce de l’ALÉNA, n’a toujours pas ratifié l’Accord environnemental, ce qui veut dire que celui-ci ne s’applique encore que partiellement au Canada.

L’ANACT et la Commission de coopération dans le domaine du travail

Comme l’Accord environnemental, l’accord parallèle de l’ALÉNA concernant le domaine du travail n’établit pas de normes nord-américaines communes en la matière mais contient des dispositions impératives obligeant les parties à respecter les droits des travailleurs et à faire appliquer efficacement des « normes élevées du travail » par le truchement de leurs propres lois et ce, de plusieurs manières. Toutefois, à la différence de l’Accord environnemental, il n’existe aucune obligation de se pencher sur des demandes non gouvernementales d’enquête concernant des allégations d’infraction aux lois du travail. Les objectifs énoncés dans l’ANACT sont l’amélioration des conditions de travail et du niveau de vie dans chaque pays et la promotion « dans toute la mesure du possible » d’une série de 11 principes relatifs au travail. Parmi les plus importants, mentionnons la liberté d’association, le droit de se syndiquer et de négocier collectivement, le droit de grève, l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants, la parité salariale entre les hommes et les femmes, la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et l’indemnisation en cas de blessure ou de maladie.

Les principales institutions de mise en oeuvre de l’ANACT sont la Commission de coopération dans le domaine du travail (CCT), qui se compose d’un conseil intergouvernemental de haut niveau chargé de se pencher sur les grandes politiques du travail, et d’un secrétariat de soutien chargé des fonctions administratives et de l’exécution d’un programme de travail convenu. Cela dit, la CCT est un organisme sensiblement plus faible que la CCE. En effet, son secrétariat n’est pas obligé d’adresser un rapport annuel au conseil, bien qu’il doive préparer périodiquement des rapports contenant les informations publiquement disponibles fournies par chaque partie. Jusqu’à présent, il a publié des études sur le marché du travail en Amérique du Nord, le droit du travail dans le cadre des relations industrielles, et les effets de fermetures soudaines d’usines. Le secrétariat de Dallas n’a que 15 employés. Il n’existe en outre aucun comité consultatif public mixte. Il n’y a que des bureaux administratifs nationaux (BAN) établis au sein des organismes gouvernementaux fédéraux des trois pays de l’ALÉNA. Au Canada, il s’agit du ministère du Travail, au sein du ministère du ministère du Développement des ressources humaines. Finalement, les pays sont libres d’établir leurs propres organismes consultatifs nationaux.

Les procédures de règlement des différends dans le domaine du travail ne sont par ailleurs pas les mêmes que celles de l’Accord environnemental. Pour certaines questions, outre les consultations par le truchement des BAN et du Conseil de la CCT, il y peut y avoir une intervention par des comités d’évaluation d’experts (CEE) de trois membres dont les présidents sont issus d’une liste dressée après consultation de l’Organisation international du travail (OIT), et les autres membres, d’une liste dressée par les parties. Les constatations des CEE sont sujettes aux commentaires des parties avant que des rapports définitifs ne soient adressés au Conseil et publiés dans des délais établis. Toutefois, seuls les rapports de CEE concernant trois domaines — le travail des enfants, la santé et la sécurité professionnelles, et les normes techniques de salaire minimum —  peuvent donner lieu à d’autres mesures de règlement des différends pour des raisons d’échec patent à appliquer les lois pertinentes. Si les consultations au sein du Conseil échouent sur une question qui est reliée au commerce et qui est « couverte par les lois du travail mutuellement reconnues », l’affaire peut être portée devant un groupe d’arbitrage dont les procédures sont les mêmes que celles de l’ANACE en ce qui concerne la sélection des membres, les échéances de rapport, l’imposition d’amendes et le recours ultime à des sanctions commerciales en cas d’inexécution.

Ici encore, le Canada a obtenu des exemptions spéciales. Il n’est pas assujetti aux sanctions, auquel cas il convient que les décisions finales des groupes d’arbitrage pourront être exécutées par un tribunal canadien. En outre, dans toute cause à caractère général portée contre le Canada, il faut que 35 p. 100 des travailleurs touchés se trouvent dans des provinces ayant accepté d’être liées par l’ANACT. Le seuil passe à 55 p. 100 dans le cas des causes qui concernent un secteur d’activité particulier. Comme dans le cas de l’ANACE, trois provinces seulement — le Québec, l’Alberta et le Manitoba, représentant quelque 40 p. 100 de la population active du Canada — ont jusqu’à présent signé l’accord intergouvernemental canadien régissant la participation provinciale.

Évaluation des accords parallèles et des commissions de mise en oeuvre

Depuis 1994, les structures de l’ALÉNA relatives à l’environnement et au domaine du travail ont fait l’objet d’évaluations très mitigées, autant des thuriféraires que des adversaires du libre-échange. Certes, elles étaient novatrices et elles ont contribué à légitimer la prise en compte des questions d’environnement et de travail dans les négociations sur le commerce et l’investissement. De plus, leur application réciproque au Mexique était un test important, compte tenu des disparités profondes et problématiques existant entre ce pays et ses partenaires nord-américains. Toutefois, les milieux d’affaires ont eu tendance soit à minimiser délibérément la valeur de ces accords, soit à les considérer comme des à-côté injustifiés du programme de libéralisation économique(33). Certains les considèrent même comme un précédent dangereux. Pour ce qui est des groupes environnementaux et syndicaux, ils peuvent être tout aussi négatifs dans leur évaluation de ces accords, mais pour des raisons opposées : parce qu’ils sont trop faibles et trop subordonnés aux obligations primordiales du libre-échange. L’une des principales critiques est que les organismes de l’ALÉNA ne peuvent en réalité rien faire au sujet des carences existant dans les trois pays en matière de protection de l’environnement et de droits des travailleurs, et que leurs moyens d’intervention pour améliorer l’application des lois existantes sont très limités.

Après tout, les commissions de l’ALÉNA restent des créations de leurs gouvernements. Donc, comme le constatait Watson au départ : « Il est facile d’être cynique au sujet des accords parallèles. Les trois parties conservent une latitude considérable... et elles peuvent être tentées, plus souvent qu’autrement, de s’accorder des passe-droits »(34). On peut cependant aussi considérer que cette flexibilité, plutôt qu’une adhésion rigide à des normes minimums communes, pourrait être un atout pour les gouvernements de l’ALÉNA. Selon le professeur de droit américain Jack Garvey, les accords parallèles « affirment explicitement le droit de chaque partie d’adopter des normes supérieures aux niveaux internationaux. (...) De fait, le mandat est d’assurer le degré de protection le plus élevé dans le cadre des lois de chaque partie. (...) Tant que des normes internationales ne pourront pas être négociées, les accords parallèles constituent le meilleur mécanisme pour veiller à ce que les valeurs de qualité de vie soient prises en considération parallèlement aux valeurs du commerce »(35). Compte tenu des dispositions plus rigoureuses de l’Accord environnemental, certains analystes estiment que ce sont les institutions pertinentes qui ont les meilleures chances de jouer un rôle vraiment actif.

Avant d’entreprendre un examen plus spécifique des résultats de l’ALÉNA en matière d’environnement et de travail, il convient d’ajouter que les commissions sont des entités en évolution. L’une des dispositions de l’ANACE et de l’ANACT prévoit un examen intergouvernemental de leur fonctionnement et de leur efficacité quatre ans après leur entrée en vigueur. Du côté environnemental, le conseil de direction de la CCE a nommé un comité d’examen indépendant (CEI) en novembre 1997 pour qu’il effectue cette évaluation, et son rapport a été publié après avoir été remis à la Commission lors de sa dernière réunion, à Mexico, en juin 1998. On trouve dans ce rapport quelques observations et recommandations ambitieuses (26 en tout). Voici par exemple un extrait du synopsis :

Le CEI pense qu’il est important de considérer l’ANACE comme un accord complet en soi et pas seulement comme un « accord parallèle » à un accord commercial. Selon le comité, l’ANACE revêt une importance cruciale pour atteindre le but du développement durable en Amérique du Nord. De plus, ce n’est pas seulement un accord commercial et environnemental au sens juridique. En effet, selon l’interprétation du Comité, le mandat de la CCE vise plus largement à assurer la protection et l’amélioration de l’environnement en Amérique du Nord dans le contexte de l’évolution des structures économiques, y compris des questions pertinentes de commerce et d’environnement. À terme, la valeur de la CCE sera mesurée à l’aune de ce mandat(36).

Le processus d’examen au bout de quatre ans de l’Accord relatif au travail a pris fin en octobre 1998. Lors de sa dernière réunion à Washington, en septembre 1997, le Conseil de la CCT est convenu que ce processus devait englober les commentaires des organismes consultatifs ainsi que des commentaires écrits publics (qui devaient être reçus pour la fin de 1997) et qu’un « rapport consultatif indépendant pour le Conseil » serait préparé par un comité d’examen de trois personnes composé d’experts non gouvernementaux du monde du travail choisis parmi les membres ou suppléants du comité consultatif national de chaque pays. Ce rapport doit être rendu public dans le cadre du rapport final destiné au Conseil sur l’examen de l’ANACT(37). Conformément aux lignes directrices adoptées par le Conseil de la CCT lors de sa réunion de Washington, en septembre 1997, ce processus a englobé des commentaires. Se réunissant pour la deuxième fois au Canada le 8 octobre 1998, le Conseil ministériel a produit une série de conclusions préconisant de modestes améliorations en réponse à l’examen, tout en reconnaissant des lacunes et une absence de consensus dans certains secteurs. Un deuxième examen exhaustif doit avoir lieu en l’an 2002.(38)

NOTE NO 4 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES

L’ALÉNA, un accord « vert »? (39)

Lors de la signature du texte final de l’ALÉNA en décembre 1992, les trois gouvernements ont vanté l’Accord, disant qu’il allait plus loin que n’importe quel autre accord de libre-échange dans la mesure où l’on y avait intégré des dispositions environnementales. De fait, lorsque le gouvernement canadien, en octobre 1992, a procédé à l’examen environnemental officiel du projet d’accord d’août de cette année, il a déclaré que : « L’ALÉNA constitue un nouveau point de référence pour assurer des relations commerciales et économiques internationales sensibles à l’environnement ». Et il est vrai que l’on trouve dans le texte de l’Accord et dans son préambule un certain nombre d’articles qui semblent favorables à l’environnement, notamment :

  • l’engagement de promouvoir le développement durable et de renforcer l’exécution des mesures de protection de l’environnement;

  • l’engagement de ne pas abaisser les normes, de maintenir des normes élevées et d’essayer de porter les normes au-dessus des normes internationales;

  • le principe que certains accords environnementaux internationaux (concernant par exemple l’ozone, les espèces menacées et les déchets dangereux) priment sur les règles de l’ALÉNA, sous réserve de l’obligation de réduire toute contradiction;

  • les processus de règlement des différends de l’ALÉNA concernant les mesures environnementales permettent de faire appel à des experts scientifiques, notamment de l’environnement, le fardeau de la preuve appartenant à la partie plaignante(40).

Bon nombre de groupes environnementaux ont toutefois été fort peu impressionnés par l’accord et par les examens officiels parce qu’ils doutent que les engagements pro-environnement soient exécutoires et qu’ils soupçonnent que l’obligation primordiale de veiller à ce que les lois et règlements restreignent le moins possible le commerce primerait sur les dispositions de protection de l’environnement. Le débat a fait ressortir certains des principaux arguments environnementaux contre la libéralisation du commerce : « 1) le commerce favorise une croissance qui fait peu de cas des questions environnementales; 2) les disciplines commerciales sont une menace aux mesures environnementales intérieures; 3) la libéralisation du commerce et de l’investissement est un outil d’harmonisation vers le bas; 4) les lois sur le commerce sont des obstacles à l’adoption de mesures commerciales intérieures visant à promouvoir la protection de l’environnement global; et 5) le manque d’ouverture et de transparence des règles et institutions commerciales est un problème critique »(41). Les graves préoccupations exprimées au sujet des conditions environnementales au Mexique, notamment dans les zones frontalières de transformation des exportations (les maquiladoras), et les mauvaises perspectives d’exécution dans ce pays n’ont fait qu’envenimer le débat(42).

Il est clair que l’ALÉNA est un accord commercial comportant certaines dispositions environnementales de valeur et d’efficacité contestables, dispositions qui « privilégient la confrontation et les méthodes punitives plutôt que les procédures d’information, de divulgation, de discussion des problèmes communs et de coopération ». Les optimistes estiment que cette démarche pourrait rehausser l’influence des organisations environnementales et provoquer l’établissement de liens transnationaux fondés sur le principe que « le prix des produits des partenaires vendus sur les marchés de chaque autre devrait intégrer le coût de la protection de l’environnement »(43). Malgré la résistance acharnée des milieux d’affaires face à ce concept, il existe dans l’ALÉNA des éléments favorables à une harmonisation à la hausse des normes environnementales et, par conséquent, susceptibles d’être favorables aux entreprises les plus nouvelles, mieux à même de profiter de cette tendance(44). Au Canada, par exemple, le gouvernement fédéral a formulé dans le sillage de l’ALÉNA une stratégie industrielle environnementale qui a reçu l’appui vigoureux des membres de l’Association canadienne des industries environnementales, bien que l’on craigne aujourd’hui que ce programme ne soit plus financé(45).

Pour ce qui est de l’accord parallèle de l’ALÉNA sur l’environnement, l’ANACE, la situation n’est probablement ni aussi verte ni aussi désespérément grise que ne le prétendent les parties antagonistes. Il est clair qu’il y a des faiblesses et des lacunes. L’ANACE se compose en grande mesure d’engagements politiques non exécutoires et il n’y a aucun moyen d’en garantir l’efficacité. La définition du droit environnemental dans l’Accord n’englobe pas le secteur important de la gestion et de l’exploitation des ressources naturelles, lequel est en grande mesure au Canada de compétence provinciale et où les problèmes sont encore compliqués par une situation insatisfaisante en ce qui concerne le fondement constitutionnel du droit environnemental, même en comparaison avec le Mexique(46). De plus, dans le cas canadien, l’ANACE n’est encore exécutoire que dans trois des 10 provinces. Certains groupes environnementaux, notamment l’Association canadienne du droit environnemental, qui avait contribué à l’opposition de l’Ontario, la plus grande province du Canada, aux accords originels, continuent de juger très sévèrement la valeur environnementale de l’Accord(47). Cela dit, d’aucuns ont défendu l’ANACE en disant qu’il s’agit « d’une avancée très importante étant donné que l’accord parallèle est le premier de ce genre », et ses auteurs ont été félicités pour avoir « bien compris les questions et la gestion environnementales »(48).

Dans l’ensemble, Johnson et Beaulieu prononcent un verdict provisoire nuancé qui montre le chemin vers une utilisation plus positive du potentiel de l’ALÉNA à l’avenir :

Les dispositions environnementales de l’ALÉNA et de l’ANACE qui l’accompagne traitent d’un domaine complexe et difficile, où maintes questions restent encore sans réponse. (…) Une chose est sûre cependant : les effets environnementaux de la croissance causée par le commerce, surtout dans la zone frontalière, ont été un catalyseur des critiques des ONG; sans l’ALÉNA, il est douteux que les questions environnementales eussent autant retenu l’attention. De fait, si l’ALÉNA avait été rejeté, il paraît clair que l’on aurait perdu une occasion rare, mais pas unique, de faire avancer la coopération environnementale. (...)

… les cinq années d’histoire de l’ALÉNA ont changé la nature du débat, probablement pour toujours. La plupart des ONG de premier plan saisissent mieux l’impératif du commerce et de l’expansion. De nombreux partisans du libre-échange conviennent que l’aspect social de la libéralisation du commerce doit être correctement pris en compte, dans les accords commerciaux ou parallèlement, si l’on veut un progrès économique et social sérieux et durable. À cet égard, on semble s’écarter aujourd’hui des débats à somme zéro des récentes années qui opposaient les écologistes aux spécialistes du commerce(49).

Les résultats environnementaux des institutions de l’ALÉNA

L’analyse la plus exhaustive de la performance environnementale du régime de l’ALÉNA se trouve dans une étude indépendante commandée par la Commission de coopération environnementale dans le cadre de son projet « Effets de l’ALÉNA », publiée en novembre 1997. En se penchant sur tous les aspects des structures de l’ALÉNA à partir de la Commission du libre-échange, les auteurs ont produit une conclusion très mitigée et identifié certaines carences cruciales. La bonne nouvelle est celle-ci : « Au minimum, la quasi-totalité des institutions économiques de l’ALÉNA ayant des responsabilités ou une pertinence environnementales ont commencé à appliquer leur mandat. (...) La prolifération des institutions post-ALÉNA à l’intérieur et à l’extérieur de la structure de la Commission du libre-échange permet de penser qu’un processus dynamique de trilatéralisation croissante est en cours — et qu’il est susceptible d’englober une gamme toujours plus large de champs fonctionnels et de questions environnementales »(50). En revanche, les succès concrets semblaient rares(51). Malgré leur recherche d’éléments positifs, les auteurs de l’étude ont aussi fait ressortir des résultats décevants :

Certains des comités de l’ALÉNA ont atteint des résultats concrets qui auront peut-être des effets considérables. Dans certains domaines importants, toutefois, le progrès a été plus lent et ce, pour plusieurs raisons, notamment les rivalités institutionnelles ou les prétentions de certains intérêts sociaux. Dans quelques domaines, comme les normes d’émission des véhicules automobiles, on ne semble pas avoir atteint les objectifs environnementaux clairs qu’avaient peut-être envisagé les auteurs de l’ALÉNA. Certains organismes n’ont pas compris la pertinence environnementale directe de leur travail. De plus, les entités économiques de l’ALÉNA n’ont en aucun cas tiré parti du mandat environnemental permissif que leur attribuait l’Accord et, dans certains domaines, ils ne se sont pas acquitté de leurs responsabilités environnementales exécutoires, du point de vue politique et juridique(52).

Les auteurs de l’étude ont été particulièrement troublés par « la séparation malsaine [qui continue d’exister] entre les questions commerciales et environnementales », dont la manifestation la plus frappante est « l’absence de dialogue régulier entre la Commission du libre-échange et la Commission de coopération environnementale, bien que les représentants ministériels des deux organismes soient convenus de l’intérêt d’un tel dialogue ». Il n’est donc pas surprenant que les auteurs de ce rapport aient conclu « qu’il reste encore beaucoup à faire pour que les institutions de l’ALÉNA atteignent le but essentiel de l’accord commercial, la « promotion du développement durable, ainsi que ses objectifs économiques » d’une manière qui soit conforme à la protection environnementale et à la conservation »(53).

Pour ce qui est de la CCE elle-même, de nombreuses questions importantes se posent encore à son sujet. Certes, la Commission a fait la manchette avec son premier rapport annuel, Taking Stock, publié en juillet 1997, dans lequel elle critiquait les grandes firmes canadiennes et classait l’Ontario comme troisième État en importance pour ce qui est de la pollution en Amérique du Nord. Toutefois, la Commission n’avait jusqu’à cette date été saisie que d’une poignée de cas en vertu de sa procédure de plaintes non gouvernementales, dont trois émanant de Canadiens, et aucune n’avait été couronnée de succès. Par exemple, une plainte formulée par le groupe écologiste de l’Alberta Friends of the Oldman River a été rejetée par la CCE en avril 1997. En septembre 1998, sur les 18 plaintes déposées par des particuliers auprès de la Commission depuis 1994 aux termes de l’article 14 de l’ANACE, 10 sont en instance : quatre concernant le Canada, cinq concernant le Mexique et une concernant les États-Unis. Le Conseil de la CCE n’a rendu qu’une seule décision fondée sur des faits jusqu’à maintenant.

Début 1998 et suite à une controverse entourant une autre cause environnementale contre le Canada, qui a entraîné le renvoi du principal représentant américain, la Commission a été secouée par le renvoi brutal de son premier directeur général, le Mexicain Victor Lichtinger qui, paradoxalement, avait été reconduit dans son poste pour un mandat de trois ans à peine quelques mois avant. D’aucuns en ont conclu que son style agressif était devenu trop embarrassant pour les gouvernements. En outre, la méthodologie et le contenu du deuxième rapport Taking Stock de la CCE, publié en octobre 1998, a fait l’objet de critiques soutenues de la part de sources gouvernementales canadiennes(54). Quoi qu’il en soit, lors de sa réunion de Mexico en juin 1998, le conseil ministériel de la CCE a semblé réitérer qu’il avait confiance dans son mandat, tout en coupant apparemment les ailes du secrétariat et en plafonnant son budget annuel à neuf millions de dollars US(55). Comme nous l’avons indiqué dans la note no 3, le rapport de juin 1998 du Comité d’examen indépendant de l’ANACE comportait une recommandation concernant un renforcement ambitieux du rôle de la CCE. En bref, il y a de fortes pressions conflictuelles en jeu.

La controverse sur les dispositions de l’ALÉNA en matière d’investissement

Si la réputation de la Commission environnementale semble encore incertaine, une controverse peut-être encore plus dommageable a éclaté sur la réputation environnementale de l’ALÉNA du fait de plusieurs poursuites intentées contre le gouvernement canadien par des sociétés américaines invoquant la procédure d’arbitrage investisseur-État du chapitre 11 de l’ALÉNA. Il s’agit du chapitre établissant des règles en vertu desquelles des firmes privées peuvent intenter des poursuites directes contre les gouvernements pour des allégations d’infraction à leurs obligations au titre de l’ALÉNA, et c’est un chapitre qui a été mis en exergue comme prototype pour la protection des investisseurs dans le cadre de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) proposé. L’affaire qui a retenu le plus l’attention est notamment celle de la société Ethyl Corp., seul producteur du MMT, additif de l’essence basé sur le manganèse. Compte tenu des risques que pose le MMT pour la santé, ainsi que de ses autres effets négatifs — précisons qu’on ne l’utilise pas en Europe et qu’il reste banni dans certaines parties des États-Unis — l’importation et le commerce interprovincial du MMT ont été interdits au Canada en 1997.

En l’absence de données scientifiques concluantes contre le MMT, et peut-être conscient des batailles juridiques au sujet de son utilisation qui minent l’agence américaine de protection de l’environnement, le Canada a imposé l’interdiction en vertu de sa législation commerciale plutôt que de sa législation environnementale. Cette décision a provoqué une contestation intérieure et une contestation en vertu de l’ALÉNA. Plusieurs provinces ont contesté l’interdiction du commerce interprovincial, en vertu d’un accord de 1994 sur le commerce intérieur. En juin 1998, un groupe d’arbitrage a rendu une décision en leur faveur. Ce qui est inquiétant toutefois, dans ce contexte, c’est que la société-américaine Ethyl Corp. avait intenté une poursuite contre le Canada en vertu du chapitre 11 de l’ALÉNA, en réclamant 250 millions de dollars US de dommages et intérêts. Selon Gordon Ritchie, consultant commercial canadien réputé qui fut l’un des principaux négociateurs de l’ALÉ canado-américain : « Si cette cause était gagnée, cela imposerait une contrainte majeure du point de vue de la souveraineté d’un pays souhaitant appliquer une réglementation environnementale ou autre »(56). Une différence importante entre l’ALÉ et l’ALÉNA est que, selon le premier accord, seuls les gouvernements pouvaient autoriser de tels groupes spéciaux d’arbitrage.

Alors que la controverse s’intensifiait suite à la perte du gouvernement canadien au sujet de l’interdiction interprovinciale, celui-ci a soudainement annoncé fin juillet qu’il avait réglé à l’amiable avec Ethyl, c’est-à-dire en fait qu’il avait concédé la victoire. La firme américaine a accepté d’abandonner sa poursuite et le Canada a accepté en contrepartie d’abroger son interdiction transfrontalière, de verser à Ethyl 13 millions de dollars US de dommages et intérêts et de reconnaître qu’il n’y avait encore aucune preuve scientifique des effets néfastes du MMT(57). Cette décision a non seulement été largement condamnée du point de vue de l’environnement et de la santé, elle a aussi fait renaître les peurs que les dispositions de règlement des différends de l’ALÉNA ne soient dangereusement viciées à plusieurs égards. Premièrement, selon un expert réputé du droit commercial, elles mettent les gouvernements « en péril s’ils adoptent des mesures ayant pour « effet » d’exproprier des biens appartenant à des étrangers, directement ou indirectement ». Deuxièmement, l’ALÉNA « permet que ces différends soient réglés complètement à huis clos sur simple demande de l’une des parties. C’est ce qui est arrivé dans l’affaire du MMT. En fin de compte, le public ne peut avoir confiance dans le système que s’il a l’assurance d’une transparence complète des informations »(58).

La controverse s’est encore avivée en août 1998 quand on a révélé qu’une deuxième firme américaine avait annoncé en juillet son intention d’invoquer la même procédure de l’ALÉNA pour réclamer des indemnités suite à une interdiction canadienne de 1995 des exportations de BPC toxiques vers les États-Unis. L’avocat commercial et environnemental Howard Mann, l’un des principaux rédacteurs du rapport de juin 1998 du Comité d’examen indépendant de l’ANACE, dit que cela pourrait n’être que la « pointe de l’iceberg »(59). Ces causes ne font qu’intensifier les craintes similaires qui ont été exprimées quant à la manière dont les dispositions de l’AMI pourraient être utilisées en secret par des intérêts privés pour obtenir l’abrogation de règlements gouvernementaux destinés à protéger le public. En septembre 1998, une coalition d’environnementalistes, de syndicats et de groupes sociaux a demandé que la Commission de coopération environnementale de l’ALÉNA se penche sur les risques que peuvent éventuellement présenter pour l’environnement les cas qui relèvent des règles de l’ALÉNA relatives à l’arbitrage investisseur-États(60).

NOTE NO 5 : L’ALÉNA ET LE DOMAINE DU TRAVAIL

On ne trouve dans le texte même de l’ALÉNA quasiment rien sur les questions de travail, sauf pour ce qui est d’un engagement inexécutoire dans le préambule « d’améliorer les conditions de travail et le niveau de vie » et « de protéger, de renforcer et d’appliquer les droits fondamentaux des travailleurs ». Bien que les partisans de la libéralisation du commerce prétendent que l’activité économique que celle-ci vise à stimuler devrait provoquer une hausse générale des revenus, les critiques du monde syndical affirment que les forces compétitives déréglementées lâchées par la libéralisation des marchés ont pour effet de miner le pouvoir de négociation des travailleurs et risquent d’entraîner des pertes sérieuses pour ce qui est des salaires et (ou) des emplois dans les secteurs dont la compétitivité décline suite au libre-échange. L’ALÉNA suscite encore plus de controverses que l’ALÉ canado-américain à ce chapitre, du fait de l’inclusion du Mexique, pays encore en développement où les salaires sont beaucoup plus bas et où les normes du travail sont bien mal respectées, dans le cadre d’un régime de gouvernement autoritaire où il y a peu de syndicats indépendants. On a dit alors que les travailleurs canadiens et américains risquaient d’être perdants si des firmes transféraient leur production pour tirer parti de telles conditions. Comme les coûts sociaux de tels transferts reliés au commerce ne sont pas pris en compte dans les prix à la consommation (lesquels sont susceptibles de baisser avec une main-d’oeuvre bon marché), d’aucuns ont qualifié ce phénomène de « dumping social » — similaire au problème résultant du fait que l’on ne tient pas compte des coûts environnementaux dans les transactions économiques. Dans le cadre du débat portant sur l’ALÉNA, les groupes syndicaux ont dit que l’environnement commercial entre les trois pays ne serait pas loyal si l’on ne pouvait pas imposer des normes du travail rigoureuses dans chacun et tant que l’on n’aurait pas pris de mesures pour faciliter l’adaptation des travailleurs dans les secteurs susceptibles d’être pénalisés par l’évolution de la compétitivité(61). D’aucuns sont même allés jusqu’à proposer l’intégration à l’ALÉNA d’une « charte sociale » à l’européenne(62). On trouvera des précisions sur cette idée dans la note no 6 du panel n3 sur les aspects sociaux et culturels de l’ALÉNA.

Les résultats des institutions de l’ALÉNA

L’accord parallèle de 1993 portant création de la Commission nord-américaine de coopération dans le domaine du travail est certainement loin d’avoir comblé les voeux des syndicats. Selon une étude, l’ANACT est « essentiellement une manière non invasive de promouvoir les droits des travailleurs... [méthode] à la fois « large » et relativement « faible » »(63). Comme nous l’avons indiqué dans la note no 6, l’accord prévoit le respect de 11 principes dans le domaine du travail, ce qui en fait une liste plus exhaustive que la demi-douzaine de normes « fondamentales » du travail identifiées par l’OIT et par l’OCDE et déjà intégrées, au demeurant unilatéralement, dans certaines lois commerciales américaines. Cela dit, ce ne sont pas les principes qui font problème mais l’impossibilité de les appliquer. Sur les 11, trois droits fondamentaux — concernant la liberté d’association et de syndicalisation, la liberté de négocier collectivement et le droit de grève — sont assujettis uniquement aux procédures plus faibles de l’ANACT; c’est seulement dans trois domaines que des plaintes peuvent entraîner des sanctions ou des amendes dans le cas du Canada. (On trouvera à l’annexe les catégories de principes du travail de l’ALÉNA regroupés en fonction de la portée limitée de leur applicabilité en vertu de l’accord parallèle.)

La majorité des 17 soumissions adressées à la Commission de l’ANACT jusqu’en octobre 1998 concernaient des allégations que le Mexique n’appliquait pas ses propres lois concernant le droit des travailleurs à se syndiquer. Ces soumissions sont donc sujettes uniquement aux procédures de consultation entre les trois parties. En juin 1998, une de ces causes fut intentée pour la première fois par le gouvernement canadien au nom d’une coalition de groupes syndicaux(64). Une seconde cause, intentée elle aussi par le Canada en octobre 1998 a trait aux travailleurs migrants. La plupart des cinq causes intentées contre les États-Unis jusqu’à maintenant portaient aussi sur une allégation d’infraction au droit de syndicalisation. Jusqu’à présent, les résultats semblent au mieux modestes —  « bien que le Mexique ait finalement reconnu un syndicat indépendant comme entité de négociation en avril 1997, pas un seul travailleur mexicain renvoyé pour activité syndicale n’a été réengagé ou indemnisé comme résultat direct d’une soumission en vertu de l’ANACT. Indirectement, toutefois, la publicité ayant entouré certaines des causes reliées à l’ANACT a provoqué la réintégration de plusieurs travailleurs »(65). D’aucuns affirment aussi que le Mexique dépense aujourd’hui beaucoup plus qu’auparavant pour faire appliquer ses lois du travail et que ses résultats en matière de santé et de sécurité professionnelles s’améliorent.

L’une des analyses les plus critiques de l’ANACT émane d’un ancien fonctionnaire américain qui fut assistant du négociateur en chef américain de l’accord. Stephen Herzenberg affirme en effet que l’accord parallèle souffre d’être le produit d’un compromis vicié :

Les champions néo-libéraux de l’ALÉNA considéraient la négociation de l’ANACT comme un irritant, un facteur de retard et une politique mauvaise en soi, tout comme, à leurs yeux, la quasi-totalité des règlements relatifs au marché du travail. La plupart des syndicats et les autres sceptiques considèrent toujours l’ANACT comme une feuille de vigne politique pour un accord commercial trop vicié et correspondant trop aux priorités des entreprises pour valoir la peine d’être avalé à n’importe quel prix. Les groupes internationaux et de protection des droits de la personne sont les organismes qui ont le plus activement recours aux instruments de l’ANACT. Bien que leurs efforts soient sans prix, leur promotion morale de droits et de normes ne change fondamentalement rien à l’argumentation économique en faveur de la déréglementation(66).

Herzenberg ajoute que, même si les politiques économiques de l’ALÉNA sont bénéfiques aux entreprises, elles ont été un échec aux yeux des syndicats du Canada et des États-Unis parce qu’ils ont le sentiment que les travailleurs et les chômeurs, loin d’avoir gagné du terrain, en ont perdu. Comme la majeure partie de la législation du travail au Canada est de compétence provinciale, il faut aussi mentionner l’exception canadienne à l’ANACT qui établit un seuil pour obtenir une couverture provinciale. En fin de compte, tant et aussi longtemps que l’Ontario n’aura pas ratifié l’accord, les dispositions relatives au règlement des différends resteront d’application limitée au Canada et dépendront de la créativité de leurs partisans dans les syndicats canadiens. Nonobstant toutes ces faiblesses, Herzenberg estime que l’on pourrait faire plus pour que l’ANACT devienne un « outil de propulsion à la hausse ». On pourrait déposer un plus grand nombre de plaintes sur les questions de normes du travail qui sont assujetties aux procédures d’évaluation d’experts et aux groupes d’arbitrage. On pourrait intensifier la coopération trilatérale et accorder au secrétariat de la Commission plus de pouvoirs d’enquête et de recommandation. De même, « l’intégration complète du Canada à l’ANACT pourrait accélérer la formulation d’une critique trinationale des lois du travail américaines analogue à celle qui se développe actuellement au Mexique. Cela produirait des pressions internationales pour la modernisation de la législation américaine du travail, dans le but d’assurer la résurrection du droit à la syndicalisation et de permettre aux travailleurs américains de partager équitablement la prospérité — et d’y contribuer plus »(67).

L’incidence de l’ALÉNA dans le domaine du travail

Évaluer l’incidence de l’ALÉNA dans le domaine du travail s’avère beaucoup plus difficile et politiquement beaucoup plus controversé que simplement prétendre que la création d’emplois résulte d’une augmentation incontestablement vaste des flux de commerce et d’investissement entre les trois pays. Les critiques syndicaux ont laissé de côté l’affirmation qu’il y a eu des gains d’emploi en préférant centrer leur attention sur les pertes. Quel que soit le côté de la barrière où l’on se trouve dans ce débat, il est douteux que l’on puisse distinguer les effets purs de l’ALÉNA de ceux de l’évolution technologique, de la compétitivité globale croissante, de la restructuration des entreprises, de la compression des effectifs et de toutes les autres forces qui influent sur les marchés du travail nord-américains. Quoi qu’il en soit, les syndicats américains ont décidé d’attaquer l’ALÉNA dans le cadre de la campagne visant à priver le président américain du pouvoir de négociation « accélérée » pour étendre les accords de libéralisation du commerce. Ce pouvoir n’a pas été renouvelé par le Congrès depuis 1994(68). Quelles que soient les prétentions des gouvernements et des économistes pro-ALÉNA, l’accord n’est manifestement pas très apprécié dans les milieux syndicaux. En se joignant à la dernière contestation constitutionnelle américaine de l’ALÉNA, le président des Métallurgistes unis d’Amérique, George Becker, a brutalement déclaré que « l’ALÉNA a été une catastrophe pure et simple pour les travailleurs du Canada et du Mexique ainsi que des États-Unis »(69).

Il n’en reste pas moins que les syndicats s’intéressent de plus en plus aux possibilités d’utilisation des mécanismes de l’Accord parallèle de coopération dans le domaine du travail, autant pour contrer les pressions exercées par les entreprises sur les travailleurs que pour réclamer l’expansion, l’élargissement et le renforcement de ce lien embryonnaire entre le commerce et les normes du travail(70). Comme nous l’avons déjà indiqué, une première cause a été intentée au Canada au début de cette année en vertu de l’ANACT. Des porte-parole de syndicats canadiens ont également utilisé la Commission de coopération dans le domaine du travail pour exposer vigoureusement leurs thèses dans un contexte trinational. L’économiste en chef du Congrès du travail du Canada (CTC) a résumé ainsi sa position sur l’incidence de l’ALÉNA dans un mémoire adressé à la Commission à l’occasion du premier colloque nord-américain annuel sur les revenus et la productivité :

Comme l’indique le récent rapport du CTC sur l’ALÉNA (Dimensions sociales de l’intégration économique nord-américaine), l’Accord de libre-échange canado-américain et l’ALÉNA ont intensifié les pressions de la concurrence internationale sur le capital canadien, ce qui a entraîné de grosses pertes d’emploi dans le secteur manufacturier vivement exposé et intégré, et une restructuration profonde des opérations qui sont restées sur pied. Dans la lutte compétitive pour la survie et l’expansion, le capital s’est efforcé de rehausser la productivité tout en minimisant les coûts salariaux. (…)

Nous vivions autrefois dans un monde où une forte croissance de la productivité était partagée par les travailleurs, essentiellement par le truchement de négociations salariales dans des contextes nationaux relativement autonomes. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où la concurrence internationale, des niveaux élevés de chômage et de sous-emploi, et les attaques menées contre les syndicats et les normes du travail font sérieusement pencher la balance en faveur du capital. Il convient de rétablir l’équilibre, soit en atténuant les forces de la compétitivité internationale, soit par une action internationale concertée destinée à rehausser les normes du travail et le pouvoir de négociation des travailleurs(71).

Il n’est probablement pas exagéré de dire qu’il est encore impossible de juger si les modestes dispositions de l’ALÉNA dans le domaine du travail offrent beaucoup d’espoir à l’égard de cet objectif.


ANNEXE

PRINCIPES DE L’ANACT RELATIFS À LA MAIN-D’OEUVRE

GROUPE ET PRINCIPES   POSSIBILITÉ DE MISE EN OEUVRE
GROUPE I
  1. Liberté d'association et protection du droit d'organisation
  2. Droit à la négociation collective
  3. Droit de grève
 

 

Peuvent être mis en oeuvre par discussion avec les bureaux administratifs nationaux, le Secrétariat et le conseil des ministres

GROUPE II

1.  Interdiction du travail forcé
2.  Normes de travail minimales applicables à la rémunération du temps supplémentaire
3. Élimination de la discrimination dans l'emploi
4.  Salaire égal pour les hommes et les femmes
5.  Indemnisation en cas de lésion ou de maladie professionnelles
6. Protection des travailleurs migrants

 

 

Peuvent être mis en oeuvre par les discussions mentionnées pour le groupe I et par évaluation par un comité d'évaluation composé d'experts

GROUPE III

1.  Mesures de protection des enfants et des jeunes au travail
2.  Normes minimales d'emploi sur le salaire minimum
3.  Prévention des lésions et des maladies professionnelles

 

 

Peuvent être mis en oeuvre par les discussions mentionnées pour le groupe I, l'évaluation mentionnée pour le groupe II et des sanctions fixées par un groupe arbitral.

Source : Mary Jane Bolle, Nafta Labour Side Agreement: Lessons for the woeker rights and Fast-Track Debate, Washington, Congressional Research Service Report for Congress, octobre 1997, tableau 1, p. 4.


PANEL NO 3

L’ALÉNA ET LES QUESTIONS SOCIALES ET CULTURELLES

NOTE NO 6 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS SOCIALES

Le texte de l’ALÉNA n’aborde pas en termes précis les questions sociales dans les trois pays visés. L’accord affirme cependant les engagements politiques à ne pas abaisser les normes en matière de protection de l’environnement, de main-d’oeuvre et de santé et de sécurité ainsi que l’intention de promouvoir une amélioration du niveau de vie, mais chaque pays se réserve le droit de conserver ses propres politiques en matière de soins de santé, de services sociaux et le reste. À l’exception des accords connexes en grande partie non exécutoires sur la collaboration dans le domaine de l’environnement et de la main-d’oeuvre, l’ALÉNA ne prévoit aucun mécanisme d’atteinte d’objectifs sociaux à l’échelle nord-américaine. Il reste que les répercussions de l’ALÉNA dans le domaine social ont suscité la controverse pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il étend trop la portée des forces du marché et ne va pas assez loin dans le champ des normes sociales, y compris en matière de droits de la personne(72).

On pourrait soutenir que l’approche « néolibérale » du développement économique qui caractérise l’ALÉNA laisse de côté de nombreux problèmes de la libéralisation des échanges : l’élargissement du fossé entre les riches et les pauvres et entre les travailleurs qualifiés et moins qualifiés; les tensions sociales aggravées par les pressions exercées pour amener les gouvernements à réduire les dépenses et la réglementation sociales dans le cadre d’une libéralisation économique qui avantage au premier chef les investisseurs et les nantis. Au Mexique, les disparités socio-économiques et les « ajustements structurels » sont vus comme étant particulièrement aigus(73). Cette situation en a amené certains à réclamer une modification de l’ALÉNA qui irait même jusqu’à lui donner un volet social supranational explicite. Parallèlement, on pourrait soutenir que les règles de l’ALÉNA, tout axées sur le marché, font peser un risque sur des politiques sociales nationales qui devraient demeurer à l’abri de la concurrence commerciale internationale. Comme nous le verrons, les réserves visant à protéger la souveraineté nationale dans ce domaine continuent d’alimenter de grands débats au Canada.

En termes plus généraux, l’ALÉNA peut être vu comme faisant partie d’une tendance vers ce que le président de l’OMC, Renato Ruggiero, a appelé l’« intégration profonde », phénomène qui survient plus rapidement dans certaines régions. Même à l’échelle mondiale, on s’attend à ce que : « les défis futurs du système commercial se retrouvent plutôt au niveau de la réglementation intérieure que des mesures aux frontières »(74). Cela soulève des questions sociopolitiques complexes de gouvernance et de démocratie. Dans l’une des premières critiques de l’ALÉNA, Ian Robinson soutenait que, en réduisant les pouvoirs du secteur public et en augmentant ceux des entreprises dans un climat de concurrence accrue, l’ALÉNA risquait fort d’aggraver les tensions sociales et de porter atteinte à la démocratie. Établissant une comparaison avec les processus d’intégration économique européens, dont le volet social est plus marqué, Robinson proposait de lier les politiques commerciales nord-américaines à des efforts d’amélioration de la condition sociale et de renforcement de la démocratie, à l’échelle régionale dans un premier temps, puis à l’échelle mondiale(75). Les gouvernements liés par l’ALÉNA pourraient bien prétendre que les craintes exprimées par ses détracteurs ne se sont pas matérialisées, mais cet accord a indéniablement attiré une plus grande attention sur les enjeux sociaux mis en cause par les réformes de la politique commerciale.

Une « charte sociale » pour contrer le « dumping social »?

La thèse voulant que l’ALÉNA accentue les problèmes de « dumping social » ne tient que s’il existe des conditions de production et d’emploi très différentes au Canada et aux États-Unis par rapport à ce qu’on trouve au Mexique. Il n’y a dumping social que lorsque les exportations bénéficient d’une fixation de prix injuste parce la production se fait là où les normes et leur mise en oeuvre sont les plus déficientes, c’est-à-dire où les entreprises exploitent une piètre condition sociale pour produire à moindre coût des biens d’exportation(76). On pourrait avancer un argument économique et social de poids contre un tel dumping. Comme l’explique le spécialiste du commerce de renom Peter Morici :

L’élimination de cette pratique élèverait le niveau de vie en éliminant les facteurs externes, c’est-à-dire les pratiques dont le coût social n’entre pas dans les frais des entreprises. Tout comme l’élimination des tarifs douaniers et des quotas, l’élimination du dumping social entraînerait une meilleure répartition des ressources et des modes de spécialisation entre les trois pays et à l’intérieur de chacun d’entre eux(77).

Pour qu’ils acceptent de remédier au dumping social, il faudrait que les partenaires commerciaux s’entendent au préalable sur des valeurs sociétales communes — notamment des normes en matière de protection de l’environnement, de main-d’oeuvre et de programmes sociaux — visant à se mettre tous sur le même pied dans un contexte d’équité et de liberté. Il faudrait pour cela une sérieuse harmonisation à la hausse des normes sociales ainsi que des transferts sociaux visant à aider toutes les régions de la zone commerciale à se conformer à ces normes. Selon Morici, c’est là une voie positive, quoi que difficile, dans le contexte de l’ALÉNA : « Un cadre social nécessitant l’application de normes raisonnables partout en Amérique du Nord et donnant au Mexique les ressources financières et techniques voulues pour agir serait beaucoup plus productif que des sanctions commerciales. C’est à ces conditions qu’un accord de libre-échange permettrait d’apporter une solution, autrement illusoire, au problème du dumping social »(78).

Les détracteurs de l’ALÉNA, associant cet accord à l’accentuation des inégalités sociales et à la diminution des transferts gouvernementaux redistributifs,(79) restent très septiques devant la possibilité qu’apparaisse le cadre mentionné plus haut sous le régime du libre-échange. Les défenseurs des travailleurs et des droits sociaux ont davantage été enclins à rechercher dans les modèles fournis par la communauté européenne des moyens d’intégrer des éléments comme une plus grande liberté de mouvement des travailleurs et des capitaux, des chartes sociales énonçant des obligations et des droits sociaux communs, le « chapitre sur les droits sociaux » du traité de Maastricht (que la Grande-Bretagne ne bloque plus), des « fonds d’adaptation structurelle » et d’autres véhicules d’investissement sociaux européens. Bien sûr, l’intégration des marchés en Europe a aussi ses opposants qui prétendent qu’elle entraîne une érosion continue des droits sociaux et démocratiques. La transposition des modèles européens poserait un défi de taille, car il faudrait trouver le moyen de faire la distinction entre les éléments de la solidarité sociale et les institutions d’intégration politique. Il est évident qu’il faudrait créer une forme ou une autre de budget commun ainsi que des institutions d’élaboration de politiques en instituant un « ALÉNA social ». Il est difficile d’imaginer comment, sur le plan politique, on pourrait amener l’un ou l’autre des trois pays membres à céder une partie de sa souveraineté à un organisme supranational.

Il est clair que, si on la compare à celle de l’Amérique du Nord, l’expérience historique acquise par l’Europe dans les domaines social et politique de l’intégration économique est très propre à ce continent et beaucoup plus vaste(80). Certains analystes canadiens soulignent que, au Canada, les propositions de charte sociale ont été liées à des débats constitutionnels intérieurs où un des grands objectifs était de garantir le droit aux programmes existants (p. ex. l’assurance-maladie), les droits sociaux et les droits des travailleurs au Canada même — afin de protéger les acquis canadiens face aux pressions liées au commerce extérieur — ce qui contraste avec un mouvement tourné vers l’extérieur et où la dimension sociale est un moyen de faciliter le passage à une union économique transnationale. Gilbert Winham et Elizabeth De Boer soutiennent que : « En Europe, charte sociale rime avec internationalisme, tandis qu’au Canada, cela rime avec nationalisme et protectionnisme »(81). Les partisans canadiens d’une charte sociale pourraient s’inscrire en faux contre une telle affirmation en précisant qu’ils ne s’opposent pas à des formes socialement responsables de libéralisation du commerce international résultant d’une intégration économique en Amérique du Nord et au-delà. Winham et De Boer reconnaissent qu’il est très possible que les aspects sociaux prennent une grande place dans les négociations post-ALÉNA puisque : « À mesure que les blocs commerciaux régionaux acceptent des partenaires plus pauvres et de plus en plus différents des vieux membres, la question de la normalisation des programmes de santé, de sécurité et d’emploi reviendra constamment sur le tapis. [...] Le soutien que lui apportent les groupements de travailleurs et autres en fait un sujet à suivre dans les négociations commerciales hémisphériques futures »(82).

Les répercussions de l’ALÉNA sur les politiques et les programmes sociaux

L’annexe II de l’ALÉNA contient une disposition générale par laquelle chaque pays : « se réserve le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure concernant les services d’application du droit public et les services correctionnels, ainsi que les services suivants dans la mesure où ils constituent des services sociaux établis ou maintenus à des fins d’intérêt public : sécurité ou garantie des revenus, sécurité ou assurance sociale, bien-être social, éducation publique, formation publique, santé et garde d’enfants ». Cette exclusion générale des règles de l’ALÉNA vise autant des mesures déjà existantes que futures. L’exemption sociale de l’ALÉNA n’a pas encore subi l’épreuve des groupes de règlement des différends, mais on présume qu’elle est affaiblie par certaines lacunes. D’autres aspects de l’ALÉNA donnent également prise à certaines craintes. Par exemple, au cours de la première année d’existence de l’accord, Philip Morris, une société de tabac américaine, a menacé de poursuivre le gouvernement du Canada pour des centaines de millions de dollars, en invoquant le chapitre II de l’accord, sur les investissements, pour « expropriation » de sa marque de commerce si, dans le cadre de ses mesures de lutte contre le tabagisme, le gouvernement adoptait une loi imposant la banalisation des paquets de cigarettes(83). Ces menaces de poursuites devant les tribunaux ne reposent peut-être pas sur des fondements assez solides pour faire plier les gouvernements, mais elles créent l’incertitude et ont pour effet de « refroidir l’ardeur » de certains.

Les craintes les plus sérieuses jusqu’à maintenant ont trait à la protection des mesures de non conformité des gouvernements provinciaux dans le système canadien décentralisé et hybride (public-sans but lucratif-privé) de prestation des soins de santé et des services sociaux. En plus des réserves nationales générales de l’annexe II, l’ALÉNA accordait une période de deux ans aux provinces et aux États des États-Unis pour préciser, selon un processus d’énumération détaillé, les mesures susceptibles d’entrer en conflit avec les règles de l’accord qu’ils voulaient réserver. Avec l’approche de la date limite, fixée à décembre 1995, on a commencé à s’inquiéter sérieusement de la portée restreinte des réserves générales puisque le gouvernement des États-Unis avait déclaré qu’il leur donnait une interprétation très étroite pour ne couvrir que les services fournis directement par les gouvernements, ce qui ne protégeait pas beaucoup des services de santé et des services sociaux canadiens fournis « à des fins d’intérêt public » par des organismes non gouvernementaux.

Les syndicats du secteur public et des groupes du secteur de la santé ont obtenu des opinions juridiques leur donnant à penser que l’exclusion générale était à la merci de telles ambiguïtés et risquait d’être minée davantage par les effets des compressions financières et de la déréglementation des services. Le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a aussi exprimé de fortes inquiétudes. Tandis que le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux soutenaient que le système de santé canadien n’était pas menacé, le délai d’inscription des réserves provinciales était prolongé jusqu’en avril 1996. Au même moment, les partenaires de l’ALÉNA concluaient une entente visant à réserver indéfiniment de toute contestation en vertu des règles de l’ALÉNA sur l’investissement et le traitement national toutes les mesures non conformes en vigueur dans les provinces et les États avant le 1er janvier 1994.

Toutefois, certains n’ont pas été entièrement rassurés. L’accord de 1996 ne couvre pas les services financiers ou tout futur programme provincial dans le domaine de la santé et des services sociaux. Un membre de la Coalition canadienne de la santé a déclaré ceci :

[...] la lutte pour mettre le secteur canadien des soins de santé à l’abri de l’ALÉNA est loin d’être terminée. L’ALÉNA est si vaste et si complexe que peu de personnes, y compris au sein du gouvernement, savent comment interpréter ses clauses variées. [...]

L’ALÉNA n’a pas vraiment été conçu pour protéger le système de santé et les programmes sociaux, mais bien pour ouvrir l’économie aux multinationales. Le secteur de la santé n’est pas protégé par les dispositions sur la propriété intellectuelle, par conséquent, l’augmentation vertigineuse du coût des médicaments menace d’acculer les régimes d’assurance-médicaments provinciaux et les hôpitaux à la faillite. De même, notre système d’assurance-maladie n’a pas été protégé dans le chapitre sur les services financiers de l’accord commercial et les fonctionnaires fédéraux sont encore incapables de répondre à bien des questions sur son avenir(84).

De telles inquiétudes ont surgi à nouveau à l’égard des négociations sur l’AMI. Compte tenu de l’expérience vécue avec l’ALÉNA, certains ont soutenu que le Canada devait obtenir une réserve claire et non consolidée pour les services publics et sociaux dans tout accord international sur l’investissement. Le comité parlementaire canadien qui a étudié l’ébauche de 1997 du texte de l’AMI abonde dans le même sens. Il a recommandé que : « En consultation avec les gouvernements provinciaux, le Canada doit en arriver à une réserve non consolidée concernant les services de santé, l’éducation et les services sociaux »(85).

NOTE NO 7 : L’ALÉNA ET LES QUESTIONS CULTURELLES

Comme pour les dimensions sociales, on a défini le traitement de la culture et de l’éducation dans l’ALÉNA en termes négatifs — c’est-à-dire en précisant ce qui est et n’est pas suffisamment protégé par une exclusion — plutôt qu’en précisant ce que l’accord peut faire pour promouvoir des objectifs communs dans ces domaines. Encore là, il y a un contraste frappant par rapport à l’intégration européenne. Certains soutiennent que l’on ferait fausse route en adoptant une vision purement économique des rapports créés par l’ALÉNA et que, en plus de ses annexes sur l’environnement et la main-d’oeuvre, cet accord pourrait intensifier la collaboration trilatérale dans les domaines social, culturel et éducatif(86).   Prenant la parole à la dixième conférence annuelle du North American Institute (NAMI) à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, en août 1998, M. Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères du Canada, a déclaré que le temps était venu d’envisager un approfondissement de l’ensemble des rapports des trois pays de l’ALÉNA(87). M. Axworthy s’est étendu sur le défi de l’« édification d’une communauté nord-américaine » à l’occasion d’un discours prononcé en septembre à Chicago, et qui mérite d’être longuement cité :

Si nos pays peuvent trouver la bonne formule de coopération à l’échelle nord-américaine, non seulement ils en profiteront mais ils fourniront un important modèle de coopération régionale dans un monde fluide et incertain. Un tel modèle pourrait constituer une solution de rechange au modèle de l’Union européenne, par exemple, puisqu’il serait beaucoup plus léger sur le plan institutionnel et qu’il réunirait des économies à des stades différents de développement.

Nous avons cependant beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre un niveau de coopération [allant au-delà du commerce et de l’économie]aussi avancé. [...] Il nous faut moderniser les instruments et les institutions que nous partageons afin de relever des défis dans une foule de secteurs allant de notre environnement naturel commun à l’éducation et aux ressources humaines en passant par le mouvement des biens et des personnes. [...] Nous devons regarder vers l’avant et créer notre vision de la communauté nord-américaine. Et ce faisant, nous devons composer avec les tensions inhérentes à la mondialisation. Cela veut dire de cultiver un sens d’« appartenance nord-américaine » tout en préservant nos identités nationales.

La culture donne aux Canadiens le sens d’une identité commune comme citoyens et elle constitue une composante centrale de leur vision collective au plan national. Les Américains et les Mexicains ont aussi leur perception de ce que sont la culture et l’identité culturelle. Le défi consiste donc à développer une « identité » nord-américaine suffisamment discrète pour ne pas empiéter sur l’espace de nos histoires et de nos cultures respectives(88).

Cependant, pendant la première décennie du régime de libre-échange continental, le débat culturel canadien a été davantage occupé par la crainte persistante que l’identité culturelle et les valeurs distinctes du Canada deviennent encore plus vulnérables à des influences « américanisantes » à mesure de l’intégration croissante du marché nord-américain que par le sentiment d’avoir de nouvelles possibilités à saisir. Ce débat a tourné autour de la survie des moyens de défense de la culture canadienne contre la domination américaine. Par tant, l’établissement d’un lien entre culture et commerce n’a rien pour calmer les inquiétudes ou simplifier les choses.

L’« exemption culturelle » contenue dans l’ALÉ et dans l’ALÉNA

Au milieu des années 80, la négociation de l’accord de libre-échange canado-américain survenait après plusieurs décennies de politiques de réglementation intérieure et de soutien financier visant à nourrir et à protéger les « industries culturelles » canadiennes devant la vive concurrence des États-Unis, et également à faire augmenter le « contenu canadien » dans les grands secteurs de l’activité culturelle (musique, livres et magazines, film, radiodiffusion, etc.). La préservation et la promotion d’une expression culturelle typiquement canadienne revêtait une dimension politique renvoyant à des objectifs essentiels en matière d’identité et d’unité nationales. Parallèlement, les Canadiens continuaient d’être de gros consommateurs consentants de produits culturels américains (par exemple, en achetant près de 80 p. 100 de tous les magazines américains vendus à l’étranger). Selon la description qu’en donne John Thompson, la « quête de la souveraineté culturelle » du Canada a reçu peu de compréhension ou de sympathie parmi les responsables américains de l’élaboration des politiques, qui voient leur position sur le marché canadien comme étant passive et inoffensive (ils ne font que répondre à la demande des consommateurs canadiens) et qui s’opposent de plus en plus vivement aux politiques culturelles protectionnistes susceptibles de restreindre leur accès à un marché lucratif pour les exportations culturelles américaines(89).

Les attitudes fondamentalement opposées des deux pays face à la culture et au commerce ont abouti au compromis plutôt ambigu de l’ALÉ. La clause centrale semble exempter les politiques culturelles canadiennes des règles du libre-échange, sauf dans quelques cas précis(90). Cependant, la même disposition affirme le droit des États-Unis de prendre des mesures de rétorsion et de réclamer des indemnités suffisantes — représentant un « effet commercial équivalent » à toute perte établie — lorsque ces politiques sont réputées incompatibles avec les règles de l’ALÉ(91). Les deux pays convenaient à toutes fins pratiques de l’existence de leur différend et exemptaient officiellement la culture canadienne de l’accord, mais la laissaient aussi exposée qu’auparavant aux mesures commerciales américaines. Les dispositions de l’ALÉ ont été transposées dans l’ALÉNA pratiquement sans modifications(92). La clause d’exemption culturelle ne s’applique pas au commerce entre les États-Unis et le Mexique.

Le problème, c’est que les dispositions de l’ALÉ et de l’ALÉNA ont sanctionné les différends, mais ne les ont pas réglés. Les différends commerciaux bilatéraux se rapportant à la culture se sont multipliés et sont passés à l’avant-scène au cours des années 90, lorsque l’on a vu les États-Unis attaquer certaines mesures visant à protéger la part canadienne du marché intérieur sous prétexte qu’elles constituaient des barrières injustes au commerce et à l’investissement. Les ambiguïtés de la clause d’exemption contenue dans l’ALÉ et l’ALÉNA demeurent et aucun des deux pays n’a tenté d’appliquer à la culture la procédure de règlement des différends prévue dans ces accords(93). Qui plus est, dans les batailles actuelles sur la culture, comme l’affaire des tirages équifractionnés de magazines américains, ce sont des règles commerciales mondiales qui sont invoquées(94). À l’intérieur du GATT/OMC, l’Accord général sur le commerce des services (GATS) permet au Canada de continuer d’exempter ses industries culturelles. Cependant, d’autres règles très complexes de l’OMC, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, du droit d’auteur et de ce qu’il est convenu d’appeler les mesures concernant les investissements liées au commerce (MIC), s’appliquent aux industries culturelles canadiennes et sont susceptibles de servir de fondements à de nouvelles contestations. Par exemple, les États-Unis ont protesté contre la modification des lois canadiennes sur les droits d’auteur, car, selon eux, elles privaient des artistes américains de redevances, en contravention des règles de l’ALÉNA et de l’OMC(95).

Protéger et répandre la culture au-delà de l’ALÉNA

L’exemption culturelle de l’ALÉ/ALÉNA a été remise en cause pour différents motifs. Des groupes culturels soutiennent que cette exemption n’a pas été une protection efficace contre les puissants intérêts commerciaux américains et les menaces de représailles, ce qui a amené le Canada à renoncer à des politiques plus nationalistes, notamment dans le domaine de l’édition et de la distribution de films. Dans ce dernier cas, les producteurs américains, notamment les grands studios d’Hollywood, continuent de bénéficier de certains droits historiques sur le marché canadien, un privilège contesté par leurs concurrents européens, comme Polygram, et qui a amené la Commission européenne à porter plainte contre le Canada devant l’OMC. Dans une perspective à plus long terme, certains prétendent que l’exemption de l’ALÉNA perpétue un statu quo insatisfaisant sans mettre en place un cadre constructif qui permettrait d’en arriver à une meilleure harmonie internationale et à un système de règlement des différends reconnaissant la légitimité de certains objectifs des politiques culturelles nationales.

Keith Acheson et Christopher Maule font remarquer que :

Les tentatives visant à isoler les industries culturelles des mesures de libéralisation acceptées pour d’autres industries ont échoué. Les États-Unis ont réussi à faire avancer leurs intérêts culturels dans leurs différends avec le Canada en invoquant les accords internationaux et en se servant des voies bilatérales informelles. La politique canadienne d’accès sélectif et discriminatoire crée des disparités de traitement entre les différents intérêts américains et également entre les entreprises américaines, qui ont obtenu l’accès au marché canadien, et les entreprises semblables d’autres pays. Ces disparités alimentent les différends commerciaux. De nouvelles contestations surviendront si l’AMI est négocié et si la culture est exemptée des obligations imposées par cet accord(96).

Bref, l’ALÉNA nous a enseigné que, dans le domaine culturel, les exemptions laissent beaucoup de problèmes non résolus et peuvent constituer des moyens de défense inefficaces ou pervers en cas de contestations de l’extérieur. Qui plus est, elles sont essentiellement des moyens réactifs et non constructifs. Dès lors, elles ne sont pas très utiles lorsqu’il s’agit de s’occuper de questions comme les répercussions des nouvelles technologies mondiales (p. ex. l’Internet ou les satellites) sur la culture, ou lorsqu’il s’agit de faire pénétrer des produits et des services culturels canadiens dans d’autres pays. D’ailleurs, les exportations culturelles canadiennes, à l’exclusion du film, ont doublé depuis 1990, pour atteindre une valeur de 1,5 milliard de dollars en 1997. Pour soutenir cette expansion du commerce dans le domaine culturel, il faut un cadre international ordonné et fondé sur des règles de réciprocité.

Conscient des défis, le Canada a été l’hôte d’une Rencontre internationale sur la politique culturelle en juin 1998. Des ministres de 20 pays étaient présents. Le but de cette rencontre était de former un réseau international qui recherchera des moyens de préserver et de promouvoir la diversité culturelle. Les États-Unis n’ont pas été invités à cette rencontre, mais l’autre partenaire du Canada dans l’ALÉNA est membre du groupe de contact (avec le Canada, la Suède et la Grèce). Le Mexique sera l’hôte de la prochaine rencontre, en 1999(97). Les groupes culturels canadiens, tout en demeurant très sceptiques devant les dispositions des accords internationaux actuels sur le commerce et l’investissement (GATT/OMC et projet d’AMI, de même que ALÉ et ALÉNA), explorent des d’autres véhicules internationaux constructifs. Un important rapport paru en juin 1998 laisse croire que, plutôt que de s’en remettre à des exemptions boiteuses incluses dans des accords commerciaux imparfaits, il fallait s’efforcer de parvenir à un accord international distinct sur la culture qui mettrait de l’avant le concept de « droits mondiaux parallèles » dans le domaine culturel(98).

De toute évidence, de telles initiatives se heurteront à de nombreux obstacles et s’éloignent beaucoup de ce qui est prévu dans l’ALÉNA. Il reste que, même si l’ALÉNA semble, jusqu’à maintenant, avoir accentué plutôt qu’atténué les différends commerciaux culturels entre le Canada et les États-Unis, si le ministre Axworthy a raison, peut-être pourra-t-il évoluer dans le sens d’un accord communautaire régional pouvant concilier ces divergences et favoriser des solutions plus coopératives.

DEUXIÈME JOUR : LE CANADA ET L’UNION EUROPÉENNE :
VERS UN MARCHÉ TRANSATLANTIQUE
(Les notes de synthèse no 8 et no 9 sont de Peter Berg)

SÉANCE NO 1
LE COMMERCE BILATÉRAL CANADA-EUROPE
ET LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES
POINTS SAILLANTS

DOCUMENTATION

  • Ministère des Affaires étrangères — Feuillet d’information et aperçu concernant les relations commerciales et économiques entre le Canada et l’Union européenne de 1976 à 1997

  • Déclaration conjointe sur les relations Canada-UE (décembre 1996) et communiqué de presse du Premier ministre sur le sommet Canada-UE de mai 1998

  • Chapitre de David Long sur les relations Canada-UE dans les années 90 tiré de Canada Among the Nations 1998

SÉANCE NO 2
QUESTIONS ET SECTEURS SECTORIELS
EN VUE D’UNE FUTURE ENTENTE BILATÉRALE

NOTE NO 8 : APERÇU DES IRRITANTS COMMERCIAUX DU CANADA
AVEC L’UNION EUROPÉENNE

Introduction

Les irritants commerciaux Canada-UE en sont venus à entacher les relations officielles entre les deux parties. Selon l’opinion dominante, les relations Canada-UE seraient embourbées dans un marais de chicaneries insignifiantes sur des questions commerciales mineures. En fait, on a exagéré cette réalité au point de devenir très pessimiste face aux perspectives futures des relations Canada-UE(99).

En 1997, le commerce bilatéral des biens entre le Canada et l’Union européenne (UE) a dépassé 40 milliards de dollars, ce qui est considérable. Le commerce des services ajoute environ un tiers à ce total. Étant donné l’importance de cette relation économique, on ne devrait pas se surprendre qu’un certain nombre d’irritants bilatéraux aient vu le jour. En effet, les relations commerciales canado-européennes ont été dominées, ces dernières années, par une longue liste de petits accrochages commerciaux, mineurs en importance au plan global, mais importants au niveau local. Ce qui est gênant, c’est le fait que certains irritants demeurent sans solution pendant si longtemps. On estime généralement que l’élimination ou l’atténuation des irritants commerciaux est un processus souvent laborieux, susceptible de distraire les fonctionnaires de la tâche plus noble de mettre en valeur la relation commerciale globale; par conséquent, le nombre de différends qui perdurent entre les deux parties est un embarras constant.

Un autre point qui mérite d’être mentionné est le fait que les différends qui mettent en cause le Canada et un seul pays européen ont des répercussions sur les relations globales entre le Canada et l’UE. Voilà un problème fondamental pour le Canada, dans ses rapports avec un ensemble comme l’UE, qui fonctionne sur une base de solidarité. Ainsi, un différend sur une question touchant les intérêts d’un seul pays essentiellement, l’Espagne, entache automatiquement les relations avec l’ensemble de l’Union; ce problème risque d’empirer avec l’arrivée de nouveaux pays membres(100).

Bien entendu, aucune relation commerciale, et a fortiori si elle est vaste et complexe, n’est à l’abri des différends. On peut également observer que les irritants commerciaux en cause ont été examinés ou sont en train de l’être d’une façon rationnelle, en bonne partie par des mécanismes de règlement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). À l’exception peut-être de la guerre du flétan (résolue bilatéralement par le Canada et l’UE en avril 1997), et le recours aux pièges à patte pour la capture des animaux à fourrure (différend réglé par la signature d’une entente Canada-UE sur le piégeage sans cruauté en décembre 1997), ces différends ont rarement une visibilité ou une charge aussi grandes que beaucoup de ceux que le Canada a avec son voisin du Sud.

La plupart des différends concernent le commerce des matières premières : produits agroalimentaires, poisson, produits forestiers, amiante. Les grands dossiers non réglés, regroupées par secteur primaire, sont présentées ici(101).

Agriculture

Le Canada continue d’avoir des problèmes avec la Politique agricole commune (PAC) qui protège les agriculteurs européens. La PAC gêne l’accès du pays aux marchés européens et touche également les exportations du Canada vers des pays tiers, en concurrence avec celles de l’UE. L’augmentation récente par l’UE des subventions à l’exportation de l’orge et de l’avoine pour réagir à la diminution du cours mondial des céréales, est particulièrement gênante pour le Canada. On espère que l’élargissement prochain de l’Union européenne précipitera les changements aux modes de subvention de la PAC.

Une autre pierre d’achoppement est le régime d’importation de céréales de l’UE, qui, de l’avis du Canada, contrevient aux engagements de l’Europe envers l’OMC. Ceux-ci prévoient que l’Union n’imposera pas de droits sur l’importation de céréales dans le cas où le prix à l’importation est plus élevé que son propre prix d’intervention, plus 55 p. 100. Le Canada soutient que le recours de l’Europe aux cotations boursières du marché américain des denrées comme référence pour le calcul les droits, plutôt que la valeur de la transaction, est injuste pour les exportateurs canadiens de produits de qualité supérieure. Le Canada a demandé la constitution d’un groupe d’examen à l’OMC en juillet 1995, mais a retiré cette demande après s’être entendu avec l’UE sur un remboursement en décembre 1995. Autre différend, autre entente de remboursement, obtenue durant la campagne agricole de 1997-1998. Le retour du Canada devant l’OMC n’est pas écarté.

Ces dernières années, l’Union a adopté un principe de prudence en matière d’innocuité des aliments. Conformément à ce principe, elle a accéléré le recours aux mesures de restrictions des importations, afin de protéger la santé et la sécurité de sa population. Ces mesures, affirment le Canada, ne sont pas toujours fondées en science. Un bon exemple est le refus d’approuver toutes les variétés canadiennes de canola transgénique. En conséquence, le Canada n’a pas été en mesure d’exporter du canola en Europe depuis 1997, et le commerce bilatéral des graines oléagineuses est compromis.

De la même manière, l’exportation de suif canadien et de ses dérivés est compromise par une interdiction qui frappe certaines matières à risque élevé qui, estime-t-on, peuvent causer l’encélopathie spongiforme bovine (ESB), également connue sous le nom de « maladie de la vache folle ». Le Canada et les États-Unis affirment tous deux que l’exposition du suif et de ses dérivés à la chaleur durant la transformation élimine l’agent infectieux; le Canada cherche donc à faire lever l’interdiction touchant le suif.

Un autre exemple de barrière commerciale érigée par l’UE au nom de la santé et de la sécurité est la décision d’interdire en 1989 le recours aux hormones de croissance chez le bétail, ainsi que l’importation de boeuf produit à partir de ces hormones. Le Canada, comme les États-Unis, justifie son opposition à l’interdiction en affirmant qu’elle n’est pas fondée en science et qu’elle représente donc un obstacle non tarifaire injustifié au commerce. Après des consultations directes avec l’Union, qui n’ont pas résolu le différend, le Canada a demandé à l’OMC un groupe d’examen en 1996. Le rapport du groupe (août 1997) et celui de l’organe d’appel de l’OMC créé en réponse à l’appel de la décision du groupe (janvier 1998) donnent raison au Canada. L’Union a maintenant jusqu’en mai 1999 pour rendre ses mesures touchant l’importation de boeuf canadien conformes aux règles de l’OMC.

Enfin, l’accès au marché européen est également restreint pour les vins canadiens désignés de qualité. L’industrie vinicole canadienne a été informée qu’elle a jusqu’en septembre 1998 pour s’entendre avec la Commission européenne sur les appellations (l’Union veut que le Canada exige de ses viticulteurs qu’ils s’abstiennent d’utiliser certaines appellations européennes comme champagne, porto et xérès) et sur les normes canadiennes de production, afin d’assurer que la santé des Européens ne soit pas menacée. L’accès au marché européen sera bloqué si aucune entente n’est signée d’ici là.

Poisson

On a mentionné déjà que le règlement du différend canado-espagnol (et donc canado-européen) sur l’accès aux stocks canadiens de flétan noir. Techniquement, ce différend concerne l’accès à une ressource, non le commerce. Pour nous, le problème continue cependant, avec le maintien des tarifs européens élevés sur les exportations canadiennes de poisson et de produits de la mer. Les tarifs qui frappent le poisson de fond qui intéresse le Canada sont de l’ordre de 7,5 à 12 p. 100 tandis que les tarifs qui touchent la crevette canadienne varient de 12 à 20 p. 100, selon le produit. La vente de produits de la mer aux clients européens a chuté, passant de 446 millions de dollars en 1988 à tout juste 300 millions maintenant.

Mines

Plusieurs pays européens ont interdit ou grandement limité l’utilisation de l’amiante crysotile, produit que l’Europe avait toujours importé par le passé. La plus publicisée de ces décisions a été imposée par la France en 1997 sur la fabrication, l’importation et la vente d’amiante et de produits contenant de l’amiante. Le gouvernement fédéral, voulant protéger le sort de cette industrie basée au Québec, affirme que les interdictions de ce genre ne sont pas fondées en science et que l’usage contrôlé du produit ne met pas en danger la santé humaine. En mai 1998, le gouvernement a annoncé sa décision d’entreprendre des consultations avec l’OMC afin de régler son différend avec la France à ce sujet.

Produits forestiers

Pour empêcher l’introduction en Europe du nématode du pin, l’Union européenne a, depuis juillet 1993, insisté sur le fait que les bois résineux provenant du Canada, à l’exception du thuya (cèdre) soient séchés au four ou traités à la chaleur. Le gouvernement fédéral s’est toujours opposé à cette exigence réglementaire, affirmant qu’il y a un risque minime de transmission du parasite aux forêts européennes. Afin de regagner l’accès au marché européen, qui lui a été refusé dans les faits, le gouvernement envisage un recours devant l’OMC.

SÉANCE NO 3

AU-DELÀ DE L’ALÉNA VERS UN MARCHÉ
TRANSATLANTIQUE CANADA-EUROPE

NOTE NO 9 : POUR RENFORCER LA RELATION COMMERCIALE
TRANSATLANTIQUE

Introduction

Il est tout à fait évident que la relation commerciale du Canada avec l’Union européenne (UE), le plus grand marché du monde, a besoin d’un sérieux coup de pouce. Bien que les exportations canadiennes de biens et de services vers l’UE totalisent 23 milliards de dollars par année, leur part dans l’ensemble des exportations vers l’Europe ne cesse de diminuer — de 12,6 p. 100 en 1980 à 5,1 p. 100 en 1997(102). En outre, les exportations canadiennes vers les 15 pays membres de l’UE n’ont pas suivi le rythme de la croissance économique européenne. En fait, la valeur des exportations du Canada vers l’Europe est minuscule (0,6 p. 100) comparée à la valeur des importations totales de l’UE. Autre sujet de préoccupation, le déficit sur marchandises avec l’UE continue de s’alourdir (7,6 milliards de dollars en 1997) et le commerce de services est lui aussi déficitaire.

Certes, il y a au recul du Canada sur le marché européen de bonnes raisons, dont la plus importante est l’intégration croissante de l’économie nord-américaine, qui a entraîné une montée en flèche des exportations canadiennes vers les États-Unis(103). Ce qui est déconcertant, toutefois, c’est que la présence commerciale relative du Canada en Europe diminue au moment même où le marché de l’UE entre dans une phase d’expansion par suite d’une forte augmentation du nombre des pays membres et de l’adoption d’une monnaie unique(104). Selon un récent rapport du Conference Board sur la relation commerciale Canada-UE, le Canada doit saisir les occasions que présente le marché en expansion de l’UE et intensifier ses relations commerciales transatlantiques(105).

Forger des liens bilatéraux

C’est dans ce sens que le Plan d’action Canada-UE a été signé en décembre 1996 afin de régler les différends commerciaux bilatéraux et d’examiner les moyens d’améliorer l’environnement commercial en supprimant les tarifs existants(106) et les barrières non tarifaires comme les normes de produits et les règlements techniques, en améliorant la situation en matière de droits de propriété intellectuelle, en abolissant les pratiques discriminatoires dans l’adjudication des marchés publics et en libéralisant le commerce des services. Le Plan d’action prévoyait, entre autres, le lancement d’une étude commerciale conjointe en vue de relever les barrières qui existent dans divers secteurs de l’économie(107) et de recommander des moyens de les faire disparaître au niveau bilatéral ou multilatéral. Un projet du document d’étude a été présenté au Sommet Canada-UE de mai 1998.

Dans son rapport, le Conference Board déclare que les entreprises des deux rives de l’Atlantique doivent absolument remédier à ce qui semble être un « déficit d’information » sur leurs marchés respectifs, sans quoi leurs stratégies de conquête de parts de marché ne seront pas efficaces. L’étude commerciale conjointe cherche à trouver des moyens de répondre à ce besoin impérieux de dialogue transatlantique. En outre, une première réunion de petites entreprises européennes et canadiennes a eu lieu en juin 1998 et le gouvernement fédéral collabore avec l’Association canadienne de technologie de pointe pour promouvoir les intérêts communs des entreprises d’information, de technologie et d’instruments médicaux en matière de commerce et d’investissement.

L’UE cherche également à améliorer ses relations économiques bilatérales avec d’autres partenaires de l’hémisphère occidental, notamment les États-Unis, le Mexique et les pays du MERCOSUR. Au début de 1998, dans la foulée de l’accord de décembre 1995 entre les États-Unis et l’UE sur un « nouvel agenda transatlantique », la Commission de l’UE a déclaré son intention d’explorer avec les É.-U. l’idée d’un « nouveau marché transatlantique » (NMT) comportant le libre-échange dans les services commerciaux d’ici l’an 2000; l’abolition des droits de douane sur les biens industriels d’ici 2010; la réduction des obstacles normatifs au commerce; et des mesures dans les domaines de l’investissement, de la propriété intellectuelle et des marchés. Cependant, il a été difficle par la suite d’obtenir les appuis politiques nécessaires au Congrès des États-Unis et au sein de l’UE, où le consensus sur la proposition initiale est à tout le moins fragile. En mai 1998, un sommet entre les États-Unis et l’UE a donné lieu à une déclaration conjointe plus modeste dans laquelle on convient d’une exploration de moindre envergure — le Partenariat économique transatlantique. En septembre 1998, la Commission de l’UE a approuvé un « plan d’action provisoire » pour le Partenariat; elle a aussi exprimé l’espoir que l’on adopte un plan conjoint au prochain sommet prévu pour décembre 1998 et que Bruxelles et Washington aient une meilleure communauté de vues quant aux dossiers clés à régler lors de toute négociation commerciale multilatérale à compter de l’an 2 000(108).

Malgré les obstacles à un démarrage rapide des négociations sur les propositions de la Commission européenne concernant le NMT et le Partenariat économique transatlantique, le gouvernement du Canada est demeuré acquis à l’idée de « trilatéraliser » (Canada, Union européenne, États-Unis) toutes les initiatives commerciales bilatérales entre l’UE et les États-Unis. Il continue en effet de penser que la conclusion d’un accord bilatéral excluant le Canada risque de nuire à ses intérêts. Il estime également qu’un succès au niveau trilatéral pourrait favoriser les objectifs de libéralisation multilatérale des échanges dans un contexte plus inclusif qu’un strict dialogue entre Bruxelles et Washington. Bien que le Canada cherche à participer à ces discussions bilatérales, ses efforts continuent de ne rien donner à cause surtout d’un manque d’intérêt de la part des États-Unis.

Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont par ailleurs donné le feu vert à des négociations accélérées sur un accord de libre-échange avec le Mexique, négociations qui ont reçu l’aval tant du Parlement européen que du Mexique. Amorcées en juillet 1998, ces négociations se concentrent sur certains secteurs au lieu de chercher à déboucher sur accord global. Ce qui pousse les Européens à vouloir conclure un accord de libre-échange, c’est que l’UE a perdu des parts de marché au Mexique depuis la conclusion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Les relations économiques entre l’UE et l’union douanière sud-américaine MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) pourraient également être sensiblement renforcées. Des pourparlers pourraient être amorcés au premier Sommet Europe-Amérique latine qui doit avoir lieu à Rio de Janeiro en 1999 en vue d’augmenter l’intégration économique des deux blocs régionaux(109).

Le Canada joue lui aussi la carte bilatérale en lançant ses propres négociations avec l’Association européenne de libre-échange (AELÉ). Malgré le petit nombre de ses membres (Suisse, Norvège, Islande et Liechtenstein), un accord de libre-échange avec l’AELÉ pourrait aider le Canada à résorber le déficit considérable qu’il a accumulé dans son commerce avec ces quatre pays tout en servant de tremplin pour des négociations commerciales plus larges avec l’Europe.

Le libre-échange transatlantique : une option réaliste?

« L’Europe a trois voies : le Canada, les États-Unis, le Mexique. Or, le Canada estime que ces trois voies doivent tôt ou tard converger, car nous pensons que le libre-échange transatlantique doit se faire correctement ou ne pas se faire du tout. »

L’hon. Sergio Marchi, ministre du Commerce international, devant le Comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères et le commerce international, 28 mai 1998

Les discussions bilatérales en vue de libéraliser le commerce entre l’UE et le Mexique et surtout entre l’UE et les États-Unis sont devenues un sujet de préoccupation pour le Canada. Il est toujours difficile de prédire le cours des relations commerciales avec l’UE. Cependant, quelque soit la tournure des événements, le Canada tiendra à ce que ses intérêts ne soient pas lésés dans tout accord de libre-échange conclu entre l’Europe et ses partenaires commerciaux de l’ALÉNA.

Le travail qui se fait dans le cadre du Plan d’action Canada-UE et de l’étude commerciale conjointe qui en fait partie a beau être utile, on voit mal comment il pourrait en résulter une libéralisation appréciable des échanges. Pour le dire comme un analyste des relations Canada-UE : « ...il est difficile de considérer le Plan d’action comme l’élément déterminant des relations Canada-UE dans les années qui viennent. Le Plan d’action, après tout, ne fait essentiellement qu’officialiser et remballer des activités de coopération qui se déroulaient déjà dans toute une gamme de dossiers au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) »(110).

Bien qu’il soit dans l’intérêt du Canada de poursuivre ses initiatives dans le cadre du Plan d’action Canada-UE, la prudence exige qu’il cherche par d’autres moyens à améliorer son accès au marché. C’est pourquoi il continue de plaider pour une approche interrégionale en matière de libéralisation des échanges par opposition à une approche strictement bilatérale. Il estime qu’il serait beaucoup plus efficace de développer l’ALÉNA et de l’élargir à l’UE dans le cadre d’un large Accord de libre-échange transatlantique (ALÉTA).

À Londres en octobre 1997, le premier ministre Chrétien a renouvelé la proposition canadienne d’abord formulée en 1994 portant de forger un ALÉTA entre les pays de l’ALÉNA et l’UE. Il s’agirait globalement d’abolir les droits de douane industriels dans la région désignée à l’intérieur d’un certain délai. À toutes les occasions qui se sont présentées depuis, le gouvernement fédéral a plaidé pour une relation « communauté à communauté » au lieu de trois processus bilatéraux séparés.

La conclusion d’un ALÉTA aurait au moins deux avantages pour l’économie mondiale. À un moment où de nombreux pays asiatiques traversent de graves difficultés économiques et où les marchés naissants de l’Europe de l’Est et de l’Amérique latine ressentent les effets de la « grippe asiatique », un renforcement des liens économiques entre les deux blocs économiques les moins affectés pourrait stimuler l’activité économique.

Deuxièmement, un lien interrégional pourrait contribuer à enrayer les tendances protectionnistes engendrées par le malaise économique actuel et donner un nouvel élan au projet de négociations commerciales de la « Ronde du millénaire » au sein de l’OMC. Cette organisation reste le meilleur moyen d’obtenir des résultats concrets à long terme dans le domaine commercial. « Du moment que l’objectif n’est pas de remplacer le système multilatéral et encore moins d’établir un bloc défensif, mais d’aller au-delà des engagements que nous avons pris dans le cadre de l’OMC, un nouvel accord de libre-échange entre l’Europe et l’Amérique du Nord pourrait mettre en branle une dynamique commerciale de réduction des barrières commerciales à l’échelle mondiale. En bref, le libre-échange transatlantique pourrait revitaliser la totalité du système planétaire — et amorcer l’essentiel processus de rapprochement entre des blocs potentiellement isolationnistes »(111).

Une stratégie aussi ambitieuse de libéralisation du commerce est-elle réalisable? Jusqu’ici, le projet d’ALÉTA ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt ou d’appui d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. De toute évidence, il subsiste beaucoup de divergences entre les deux blocs économiques et, comme il a déjà été noté, l’UE continue de poursuivre des processus bilatéraux séparés avec les membres de l’ALÉNA. De toutes les options, cependant, il semble qu’une forme élargie de partenariat transatlantique renforcé, offrant la possibilité d’une entente de libre-échange ouverte sur l’avenir, constitue le meilleur moyen de stimuler un pan majeur de l’économie mondiale et de relancer les efforts pour amorcer une nouvelle ronde de libéralisation des échanges à l’échelle planétaire.

 


ANNEXE 1

EXTRAITS D’UN RAPPORT DU PARLEMENT EUROPÉEN
RÉSOLUTION SUR LES RELATIONS ENTRE
L’UNION EUROPÉENNE ET LE CANADA

 

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ANNEXE 2

MEMBRES DES PRINCIPALES ORGANISATIONS
EUROPÉENNES ET TRANSATLANTIQUES

 

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(1) Stephen Clarkson, « Fearful Asymmetries: The Challenge of Analyzing Continental Systems in a Globalizing World », Canadian-American Public Policy, n° 35, septembre 1998. Pour d’autres scénarios, voir aussi Nicholas Gianaris, The North American Free Trade Agreement and the European Union, Westport (Connecticut), Praeger, 1998.

(2) Il existe de plus en plus d’études sur l’ALÉNA, outre les documents officiels produits par les gouvernements concernés et par les organismes intergouvernementaux. Du point de vue canadien, voici un document utile et généralement en faveur de l’accord : Richard Lipsey et al., The NAFTA: What’s In, What’s Out, What’s Next, Toronto, C.D. Howe Institute, 1994. D’autres études du secteur privé ont mis l’accent sur les effets globalement positifs de l’accord sur les affaires et sur l’expansion économique. Voici l’un des premiers recueils d’études critiques : Ricardo Grinspun et Maxwell Cameron (éd.),The Political Economy of North American Free Trade, Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1993. Voici enfin un recueil plus récent d’analyses mitigées portant sur un large éventail de questions liées à l’ALÉNA : Stephen Randall et Herman Konrad (éd.), NAFTA in Transition, Calgary, University of Calgary Press, 1995. L’ALÉNA est peut-être devenu un élément incontournable de la vie économique nord-américaine mais le débat sur l’ALÉNA est loin d’être épuisé.

(3) On en trouvera une liste plus détaillée à l’annexe 1.

(4) Les règles d’origine comportent une discrimination explicite à l’égard des produits des pays tiers, ce qui en fait l’un des aspects les plus controversés des pactes commerciaux régionaux. Dans le secteur de l’automobile, par exemple, la Commission européenne conteste actuellement devant l’Organisation mondiale du commerce les droits de douane imposés par le Canada sur les automobiles européennes importées qui ne satisfont pas aux conditions nord-américaines.

(5) Randall, « Managing Trilateralism », in NAFTA in Transition, p. 45 (traduction).

(6) NAFTA’s Institutions: The Environmental Potential and Performance of the NAFTA Free Trade Commission and Related Bodies, Montréal, Commission de coopération environnementale, 1997, p. 11 (traduction).

(7) Pour le Canada et les États-Unis, Gary Hufbauer et Jacqueline McFaden formulent cette conclusion : « Nos succès et échecs macro-économiques n’ont pratiquement rien à voir avec l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) ou avec l’ALÉNA ». Toutefois, le cas du Mexique est différent du fait d’une transition turbulente et des effets de la crise du peso de 1994-1995. (« Judging NAFTA », Canada-United States Law Journal, vol. 23, no 11, 1997, p.11 et suivantes (traduction.)

(8) Dans une étude réalisée récemment, l’économiste canadien John Helliwell a constaté qu’avant l’Accord de libre-échange canado-américain, la probabilité que les provinces commercent entre elles était 20 fois plus élevée que la probabilité qu’elles commercent avec les États-Unis. Cet « effet de frontière » est tombé à un multiple de 12 en 1993, mais il est demeuré stable depuis l’ALÉNA. Helliwell affirme qu’il peut être trompeur de se concentrer sur les liens extérieurs compte tenu de la prédominance du commerce intérieur et des relations commerciales établies à l’intérieur des pays. Cette remarque vaut même dans le cas d’espaces économiques très intégrés comme le marché unique de l’Union européenne. J. Helliwell, How Much Do National Borders Matter?, Washington (D.C.), Brookings Institution Press, août 1998. (Voir aussi « The Myth of the ‘Global Economy’ », The Ottawa Citizen, 14 septembre 1998.)

(9) Cf. Notes pour une allocution de l’honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères, à la Conférence de politique étrangère de 1998 de l’Institut canadien des affaires internationales, ministère des Affaires étrangères et du commerce international, Ottawa, 16 octobre 1998.

(10) La négociation officielle d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’AELÉ (qui comprend la Suisse, le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande, ces trois derniers pays étant aussi membres de l’Espace économique européen) a été lancée en octobre 1998. Les exportations du Canada vers l’AELÉ dépassent ses exportations au Mexique, et la valeur des exportations du Canada vers l’AELÉ est à peu près équivalente à celle de ses exportations vers les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay).

(11) On trouvera le point de vue d’un parlementaire canadien important à ce sujet dans William C. Graham, « NAFTA vis à vis the EU – Similarities and Difference and their Effects on Members Countries », Canada-United States Law Journal, vol. 23, 1997, p. 123-135. La difficulté consistera à concilier des intérêts régionaux divergents afin de définir des positions communes. Pour un éventail de points de vue nord-américains et européens, voir Gavin Boyd (éd.), (R.-U.) The Struggle of World Markets: Competition and Cooperation between NAFTA and the European Union, Chelterham Edward Elgar, 1998, en part. John Dunning, « Re-energizing the transatlantic Connection », et Stephen Blank et Anne Taillandier, « Atlantic Interdependencies and Free Trade ». (Le livre a pour origine une conférence tenue en novembre 1996 à l’École des Hautes études commerciales de l’Université de Montréal et parrainée par le Centre d’étude en administration internationale.)

(12) L’ex-ministre canadien du Commerce au moment de l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, Roy MacLaren (aujourd’hui le candidat du Canada à la présidence de l’OMC) a vigoureusement pris position pour cela en Europe. Le premier ministre canadien Chrétien a proposé une zone de libre-échange transatlantique dans des discours prononcés devant le Sénat français, en 1994, et à Londres, en octobre 1997. Le ministre du Commerce Sergio Marchi a souligné le caractère souhaitable d’une démarche commune ALÉNA-UE lorsqu’il a témoigné devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes en mai 1988. Jusqu’à présent, cependant, l’idée d’une « ALÉTA » semble avoir suscité plus d’intérêt et d’appui aux États-Unis qu’en Europe. (Voir par exemple Thomas Duesterberg, « Prospects for an EU-NAFTA Free Trade Agreement », The Washington Quarterly, printemps 1995, p. 71-82.)

(13) Jeremy Kinsman, « Transatlanticism: Is Europe ‘Old Hat’? », Behind the Headlines, vol. 55, no 3, 1998, p. 8 et 13 (traduction).

(14) Gilbert Gagné, « North American Free Trade, Canada, and US Trade Remedies: An Assessment After Ten Years », Communication faite lors de l’Assemblée annuelle de l’Association canadienne de sciences politiques, Ottawa, juin 1998, p. 1 (traduction).

(15) La description est très sommaire. Le lecteur trouvera d’autres détails, notamment sur une comparaison avec les mécanismes de règlement des différends du GATT/OMC, dans Lipsey et al., The NAFTA (1994), chapitre 8; voir aussi Lawrence Herman, « NAFTA – The Broad Strokes: A Canadian Lawyer’s Perspective », Canada-United States Law Journal, vol. 23, no 85, 1997, p. 85-107. Dans bien des domaines, ce sont autant les règles de l’ALÉNA que de l’OMC qui peuvent s’appliquer et l’on pourrait donc avoir recours à l’une ou l’autre des deux tribunes (p. ex., pour contester la loi américaine Helms-Burton visant les investissements étrangers à Cuba). Dans quelques cas, cependant, par exemple au sujet d’une contestation de règlements environnementaux nationaux restreignant le commerce, le pays faisant l’objet de la plainte peut demander que le différend soit réglé uniquement au moyen des mécanismes de l’ALÉNA.

(16) Cette disposition a été invoquée contre le Canada dans des affaires concernant des questions environnementales contestées et on trouvera des détails à ce sujet dans la note de synthèse concernant l’ALÉNA et les questions environnementales.

(17) Gagné (1998), p. 6, (traduction); c’est nous qui soulignons.

(18) On tient à cette fin une liste de 15 noms – cinq choisis par chaque pays. En choisissant un CCE, chaque partie au différend choisit un membre de cette liste et les parties tirent ensuite au sort pour savoir laquelle choisira le troisième membre.

(19) La Statement of Administrative Action américaine faite à l’entrée en vigueur de l’ALÉNA ne mentionnait même pas cette déclaration et l’on peut donc douter du sérieux de l’engagement américain envers ce processus. Le rapport du seul groupe de travail qui fut mis sur pied, rendu public en 1997 seulement, n’allait pas au-delà de recommandations d’améliorations techniques mineures au processus d’examen existant.

(20) Témoignage devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes du Canada, Washington (D.C.), 31 mars 1998.

(21) Pendant cette période, on a demandé en tout la mise sur pied de 49 groupes spéciaux mais certaines demandes ont été retirées ou combinées et, sur les 30 acceptées, 19 concernaient l’examen de décisions d’organismes américains. (Gagné (1998), p. 9.)

(22) Voir aussi Wiliam Davey, Pine & Swine. Canada-United States Trade Dispute Settlement: The FTA Experience and NAFTA Prospects, Ottawa, Centre de droit et politique commerciale, 1996.

(23) Gagné (1998), p. 11 et passim (traduction).

(24) Par exemple, la section canadienne du Secrétariat de l’ALÉNA, qui est chargée d’administrer la participation canadienne au règlement des différends, affirme ceci : « Avec un commerce aussi volumineux, les différends sont inévitables. On estime que 5 p. 100 environ des 381 milliards de dollars de commerce bilatéral du Canada avec les États-Unis font actuellement l’objet de différends. » (Budget des dépenses 1998-1999, Partie III – Rapport sur les plans et les priorités, p. 6.)

(25) Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ALÉNA : Un partenariat au travail, Ottawa, juin 1997.

(26) Lawrence Herman, « NAFTA – The Broad Strokes », Canada-United States Law Journal, 1997, p. 95.

(27) William Graham. « NAFTA vis-à-vis the E.U. », Canada-United States Law Journal, 1997, p. 132 et suivantes.

(28) Robert Howse, Settling Trade Remedy Disputes: When the WTO Forum is Better than the NAFTA, Toronto, C.D. Howe Institute Commentary, juillet 1998.

(29) Henry Jacek, « Business and Politics in the Formation and Implementation of Trade Agreements Affecting North America : Dispute Settlement Mechanisms and Labour/Environmental Standards », communication devant l’Assemblée annuelle de l’Association canadienne de sciences politiques, Ottawa, juin 1998, p. 9 (traduction).

(30) Ibid. (traduction).

(31) Il s’agit d’une description très sommaire d’un accord très complexe. Pour une analyse préliminaire plus détaillée, voir William Watson, The NAFTA Papers: Environmental and Labor Standards in the NAFTA, C.D. Howe Institute Commentary No. 57, février 1994. L’analyse la plus exhaustive, contenant les textes officiels et les ententes intergouvernementales correspondantes, a été produite par Pierre-Marc Johnson et André Beaulieu dans The Environment and NAFTA: Understanding and Implementing the New Continental Law, Washington (D.C.), Island Press, 1996. On trouvera aussi beaucoup d’informations à jour et de documentation trilingue sur le site Internet de la Commission, à : http://www.cec.org.

(32) Voir Johnson et Beaulieu (1996), chapitre 11.

(33) Selon Jacek :

Les partisans des accords de libre-échange dans le monde des affaires considèrent ces accords comme de simples accords commerciaux. Ils estiment que les gouvernements ne devraient pas se pencher sur les composantes ou les intrants des prix tels que les coûts de la main-d’oeuvre ou les dommages environnementaux. Ils rejettent clairement l’idée d’un terrain de jeu égal entre toutes les juridictions nationales dans ces domaines. (« Business and Politics in the Formation and Implementation of Trade Agreements Affecting North America » (1998), p. 4 (traduction).

(34) Watson (1994), p. 17.

(35) Jack Garvey, « Current Development: Trade Law and Quality of Life – Dispute Resolution Under the NAFTA Side Accords on Labor and the Environment », The American Journal of International Law, avril 1995 (traduction).

(36) Four–Year Review of the North American Agreement on Environmental Cooperation: Report of the Independent Review Committee, Montréal, Commission de coopération environnementale, juin 1998, copie Internet, p. 3 (traduction).

(37) « North American Labor Ministers Meet to Discuss Progress on NAFTA Labor Commission », communiqué du 18 septembre 1997, Dallas, Commission de coopération dans le domaine du travail, (copie Internet disponible à : http://www.naalc.org).

(38) Cf. « Ministers Review NAFTA’s Labor Agreement », Communiqué de presse et pièces jointes, Commission de coopération dans le domaine du travail, 8 octobre 1998.

(39) On trouvera une analyse poussée de cette question dans John Audley, Green Politics and Global Trade: NAFTA and the Future of Environmental Politics, Washington (D.C.), Georgetown University Press, 1997.

(40) Cependant, par comparaison avec le droit de la Communauté européenne, le processus prévu aux termes de l’ALÉNA « laisse beaucoup moins de place pour les arguments des valeurs concurrentes du commerce et de l’environnement devant les commissions de règlement de différends. Il est important de garder ceci à l’esprit lorsque l’on détermine à quel point et de quelle manière les experts peuvent être utilisés par les commissions de règlement de différends de l’ALENA. » (Prévention de différends : Évaluation des valeurs du commerce et de l’environnement dans le cadre de l’ALENA et de l’ANACDE, Montréal, Série no 3, Environnement et commerce, Commission de coopération environnementale, 1996, p. 22.)

(41) Johnson et Beaulieu, The Environment and NAFTA (1996) p. 245-246 (traduction).

(42) On trouvera une analyse succincte du débat de l’époque dans les publications suivantes du Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement : Anthony Chapman, L’Accord de libre-échange nord-américain : justification et enjeux, BP-327F, janvier 1993; et William Murray, L’ALENA et l’environnement,MR-116F, décembre 1993.

(43) Annette Baker Fox, « Environment and Trade: The NAFTA Case », Political Science Quarterly, printemps 1995, p. 68 (traduction).

(44) Voir Johnson et Beaulieu (1996). Comme l’ALÉNA prévoit des normes plus rigoureuses sans relâchement, comme le dit Jacek, « les entreprises qui se conforment aux normes nationales les plus élevées jouissent maintenant d’un avantage commercial dans l’ALENA » ((1998), p. 7 (traduction)).

(45) « Cabinet Drops Clean, Green Strategy: Environmental Industries Mourn Loss of ‘Valuable’ Program », The Ottawa Citizen, 17 août 1998, p. A3.

(46) On trouvera une étude critique de cette question dans Bradly Condon, « The Impact of the NAFTA, the NAAEC, and Constitutional Law on Environmental Policy in Canada and Mexico », dans Randall and Konrad, NAFTA in Transition (1995), p. 281-94.

(47) Voir Donald Abelson, « Environmental Lobbying and Political Posturing: the Role of Environmental Groups in Ontario’s Debate over NAFTA", Canadian Public Administration, vol. 38, no 3, automne 1995, p. 352-81. Selon la directrice générale de l’ACDE, Michelle Swenarchuk :

Plusieurs groupes spéciaux américains de l’ALÉNA ont déjà conclu qu’ils ne peuvent rien faire au sujet de la perte des lois. Ils ont été impuissants à empêcher les États d’abaisser les normes de foresterie. Si les gouvernements voulaient éliminer toutes les mesures de protection de l’environnement, il n’y a rien qu’un accord parallèle de l’ALÉNA pourrait y faire. (Cité dans le Winnipeg Free Press, 24 janvier 1997, p. A12 (traduction)).

(48) Dixon Thompson, « The NAFTA Parallel Accord on the Environment », dans Randall et Konrad, NAFTA in Transition, p. 325-326 (traduction).

(49) Johnson et Beaulieu (1996), p. 241-247 (traduction).

(50) NAFTA’s Institutions: The Environmental Potential and Performance of the NAFTA Free Trade Commission and Related Bodies, p. 17-18 (traduction).

(51) Une exception mise de l’avant est le Groupe de travail sur le transport des marchandises dansgereuses, du Sous-comité des normes de transport terrestre, qui a produit un Guide de réaction aux crises qui a aidé le Mexique à améliorer sa réglementation.

(52) NAFTA’s Institutions, p. 16 (traduction).

(53) Ibid., p. 18-19 (traduction).

(54) « Major Canadian Companies on List of North America’s Worst Polluters », The Globe and Mail (Toronto), 3 mars 1998, p. A3. Les auteurs de ce rapport, enfin diffusé le 7 octobre 1998, constatent quelques signes encourageants d’une diminution graduelle des émissions de polluants en Amérique du Nord. (Voir aussi « Canadian Factories Fingered in NAFTA Pollution Study », The Globe and Mail, Toronto, 24 juillet 1998.

(55) « NAFTA Watchdog Leashed », The Globe and Mail (Toronto), 2 juillet 1998, p. B6.

(56) Cité dans « Feds Fear Loss on MMT », The Globe and Mail (Toronto), 10 juillet 1998, p. B7 (traduction).

(57) « Gas War: the Fall and Rise of MMT », The Globe and Mail (Toronto), 24 juillet 1998.

(58) Lawrence Herman, « MMT Case Set Far-Reaching Precedent : " Expropriation  " Takes on New Meaning », The Financial Post (Toronto), 28 juillet 1998 (traduction).

(59) Cité dans « U.S. Firm Hits Ottawa with NAFTA Lawsuit », The Globe and Mail (Toronto), 21 août 1998. Voir aussi « NAFTA process ‘unacceptable’  », The Globe and Mail (Toronto) 25 août 1998 (traduction).

(60) « NAFTA Lawsuits Cloud Mai Discussions », The Globe and Mail (Toronto), 24 août 1998; « Groups Ask for NAFTA Challenge », The Globe and Mail (Toronto), 18 septembre 1998.

(61) La législation américaine de mise en oeuvre de l’ALÉNA comporte un programme provisoire d’aide à l’adaptation des travailleurs américains touchés. Il n’y a pas eu de programme spécial similaire au Canada. Précisons que les effets possibles dans ce domaine allaient probablement être beaucoup plus marqués aux États-Unis, ce qui provoqua un débat d’autant plus intense, étant donné le volume beaucoup plus élevé du commerce entre les États-Unis et le Mexique à travers la frontière commune.

(62) Voir par exemple l’économiste en chef du Congrès du travail du Canada, Andrew Jackson, « A Social Charter and the NAFTA: A Labour Perspective », dans William Watson (éd.), North American Free Trade Area, Policy Forum Series No. 24, Kingston (Ontario), John Deutsch Institute for the Study of Economic Policy, octobre 1991, p. 77-93.

(63) Mary Jane Bolle, NAFTA Labor Side Agreement : Lessons for the Worker Rights and Fast-Track Debate, Washington, Congressional Research Service Report for Congress, octobre 1997, p. 3.

(64) Cette affaire concerne les opérations mexicaines du fabricant de pièces d’automobiles américain Echlin Inc., qui possède aussi des usines au Canada. (« Labour Groups File First NAFTA Complaint » et « Ottawa Approves Use of NAFTA Side Deal », The Ottawa Citizen, 7 avril 1998 et 6 juin 1998.)

(65) Bolle, NAFTA Labor Side Agreement (1997), p. 12 (traduction).

(66) Stephen Herzenberg, Calling Maggie’s Bluf: The NAFTA Labor Agreement and the Development of an Alternative to Neoliberalism, Canadian American Public Policy, Canadian-American Centre, University of Maine, no 28, décembre 1996, p. 3 (traduction).

(67) Ibid., p. 26.

(68) Sur le lien contesté entre les questions de travail de l’ALÉNA et le débat sur la négociation « accélérée », voir Bolle (1997) p. 13 et suivantes. Voir aussi Steve Charnovitz, « Labor and Environmental Issues », dans Jeffrey Schott (éd.), Restarting Fast Track, Special Report No. 11, Washington, Institute for International Economics, avril 1998.

(69) Cité dans « Trade Pact Pits Worker against Worker », Kitchener-Waterloo Record, 11 août 1998, p. A9 (traduction).

(70) Cf. Henry Jacek, « Business and Politics in the Formation and Implementation of Trade Agreements Affecting North America: Dispute Settlement Mechanisms and Labour/Environmental Standards », p. 4-6.

(71) Andrew Jackson, « A Note on Productivity, Wages, and Profits in Canada in Relation to NAFTA », Dallas, Communication devant le Commission for Labour Cooperation North American Seminar on Incomes and Productivity, février 1997, p. 2-6 (traduction).

(72) Pour ce qui est du traitement des droits de la personne, certains commentateurs sont allés chercher leur modèle en Europe. Contrairement à la situation qui prévaut dans les Amériques, on reconnaît généralement que le processus d’intégration de l’Europe a lié avec succès l’intégration des économies régionales et l’institutionnalisation transnationale de normes en matière de droits de la personne et de normes juridiques. (Voir James Smith, « NAFTA and Human Rights: A Necessary Linkage », University of California Davis Law Review, été 1994.) Au Canada, l’idée de lier l’ALÉNA et les droits de la personne a été mise de l’avant par le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique et par des coalitions non gouvernementales comme Common Frontiers. Il semble également que la Commission européenne soulèvera la question des droits de la personne au cours des négociations commerciales qu’elle a entreprises avec le Mexique au cours de l’été 1998.

(73) Voir, par exemple, Ann Weston, The NAFTA Papers: Implications for Canada, Mexico and Developing Countries, Ottawa, Institut Nord-Sud, 1994; Diana Alarcon Gonzalez, « Trade Liberalization, Income Distribution, and Poverty in Mexico: An Empirical Review of Recent Trends », dans Stephen Randall et Herman Konrad, NAFTA in Transition, 1995.

(74) Robert Wolfe et John Curtis, « Providing Leadership for the Trade Regime », dans Canada Among Nations 1998: Leadership and Dialogue, Fen Osler Hampson et Maureen Appel Molot (éd.), Toronto, Oxford University Press, 1998, 1998, p. 21 (traduction).

(75) Ian Robinson, « The NAFTA, Democracy and Continental Economic Integration: Trade Policy as if Democracy Mattered », dans How Ottawa Spends 1993-1994: A More Democratic Canada?, Susan Phillips (éd.), Ottawa, Carleton University Press, 1993, p. 333-80. D’autres versions de cette thèse ont été publiées par le Centre canadien de politiques alternatives.

(76) Le fait que les salaires soient nettement inférieurs au Mexique ne constitue pas, en soi, du dumping social puisque cela peut être lié à une plus faible productivité et à une structure de coûts donnant légitimement à ce pays un avantage concurrentiel. Le dumping n’existe que lorsque le coût de la main-d’oeuvre ou d’autres intrants est artificiellement maintenu bas et que l’on refuse volontairement d’appliquer des normes de production ou de travail acceptables de manière à causer un préjudice matériel à des concurrents étrangers.

(77) Peter Morici, « Implications of a Social Charter for the North American Free Trade Agreement », dans The Social Charter Implications of the NAFTA, Washington, Canada-U.S. Outlook, National Planning Association, 1997, p. 8 (traduction).

(78) Ibid., p. 10 (traduction).

(79) Voir, par exemple, Charles Reasons, « NAFTA and Inequality: A Canadian Perspective », dans Constitutional Forum, printemps-été 1994, p. 72-77.

(80) L’Amérique du Nord et l’Europe communautaire: Intégration économique, intégration sociale?, Dorval Brunelle et Christian Deblock (éd.), Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1994, constitue un ouvrage comparatif utile.

(81) Elizabeth C. De Boer et Gilbert Winham, « Trade Negotiations and Social Charters: The Case of the North American Free Trade Agreement », dans The Social Charter Implications of the NAFTA, p. 30 (traduction).

(82) Ibid., p. 33 (traduction). De telles discussions sur la création d’une zone de libre-échange s’étendant à tout l’hémisphère ont été lancées lors du deuxième Sommet des Amériques, tenu au Chili en avril 1998, et se déroulent sous une présidence canadienne pendant les 18 premiers mois des négociations. Aucun des groupes de négociation ne traite expressément des normes en matière de protection de l’environnement, de main-d’oeuvre et de programmes sociaux, mais le Canada déploie de grands efforts pour qu’il y ait des consultations sur la participation à la société civile et sur les facteurs entourant ces normes.

(83) Voir David Schneiderman, « Canadian Constitutionalism and Sovereignty after NAFTA », dans Constitutional Forum, printemps-été 1994, p. 97.

(84) Colleen Fuller, « Doctoring to NAFTA », dans Canadian Forum, juin 1996, p. 18 (traduction).

(85) Le Canada et l’Accord multilatéral sur l’investissement, Rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux, Ottawa, décembre 1997, p. 37. Une réserve « non consolidée » permet à un pays de conserver un mesure non conforme et de la modifier comme il l’entend dans l’avenir. Le gouvernement du Canada a accepté l’idée générale de cette recommandation dans la réponse au rapport qu’il a produite en avril 1998.

(86) Voir, par exemple, Philip Altbach, « NAFTA and Higher Education, The Cultural and Educational Dimensions of Trade », dans Change, juillet-août 1994; Stephen Randall et Herman Konrad, NAFTA in Transition, 1995, Introduction et partie V, « Public Policy and Culture ».

(87) Lors de cette réunion, M. Axworthy a annoncé une contribution canadienne au financement de l’Alliance pour l’enseignement supérieur et l’entreprise en Amérique du Nord.

(88) Notes pour une allocution de l’honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères, à une réunion du Mid-America Committee, Action mondiale, communauté continentale : la sécurité humaine dans la politique étrangère du Canada, Chicago, (Illinois), 9 septembre 1998. Ottawa, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, p. 4-5 (sur l’Internet, http://www.dfait-maeci.gc.ca).

(89) Voir John Herd Thompson, « Canada’s Quest for Cultural Sovereignty », dans Randall et Konrad, NAFTA in Transition, p. 393-410.

(90) Selon le paragraphe 1 de l’article 2005 de l’ALÉ : « Les industries culturelles sont exemptées du présent accord ». Les mesures spécifiques incluent l’élimination des tarifs sur certains produits comme les enregistrements sonores et le paiement de redevance par les câblodistributeurs canadiens aux radiodiffuseurs américains pour la retransmission de leurs signaux sur les systèmes canadiens.

(91) Selon le paragraphe 2 de l’article 2005 : « Malgré les autres dispositions du présent accord, chaque Partie pourra prendre des mesures ayant un effet commercial équivalent en réaction à des interventions qui seraient incompatibles avec le présent accord, si ce n’était du paragraphe 1 ».

(92) Le seul ajout à la loi de mise en oeuvre canadienne a été l’inclusion des droits de location des enregistrements sonores et des logiciels protégés par droits d’auteur conformément aux dispositions de l’ALÉNA sur la mise en oeuvre des droits de propriété.

(93) Voir Ronald Atkey, « Canadian Cultural Industries Exemption from NAFTA – Its Parameters », dans Canada-United States Law Journal, vol. 23, 1997, p. 177-200.

(94) Les tirages équifractionnés de magazines canadiens sont essentiellement des éditions canadiennes de périodiques américains dont le coût demeure bas en raison de leur grande circulation, et qui ont aussi détourné d’importants revenus de publicité canadiens. En raison de la concurrence créée par cette forme de tirage, le Canada a adopté différentes mesures instaurant une discrimination en faveur de l’industrie canadienne du magazine. Les É.-U. ayant porté plainte devant l’OMC, des groupes spéciaux ont récemment rendu des décisions contre ces mesures, ce qui a contraint le Canada à trouver d’autres moyens de soutenir les magazines nationaux sans enfreindre les accords commerciaux internationaux. [...] Le 8 octobre 1998, on a présenté à la Chambre des communes un projet de loi à cet effet, le projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques (accessible sur le site Internet parlementaire, à l’adresse http://www.parl.gc.ca). Toutefois, dans un rapport qu’elle a publié quelques jours plus tard, la Commission du commerce international des États-Unis a attaqué vigoureusement les politiques canadiennes visant à protéger la culture dans les négociations internationales sur le commerce et l’investissement. La représentante (américaine) du commerce extérieur, Charlene Barshefsky, s’est également empressée de condamner les nouvelles mesures législatives canadiennes comme étant « protectionnistes et discriminatoires ».

(95) « Canada’s Copyright Laws Violate NAFTA », dans The Financial Post, Toronto, 12 mars 1998. Pour une analyse détaillée des questions sous-jacentes, voir Lesley Ellen Harris, Copyright Issues in Trade Agreements, rapport de recherche préparé pour la Conférence canadienne des arts, octobre 1997.

(96) Keith Acheson et Christopher Maule, « The Culture of Protection and the Protection of Culture – A Canadian Perspective in 1998 », Carleton Industrial Organization Research Unit Working Paper Series, Ottawa, Université Carleton, février 1998, p. 21 (traduction); voir également une thèse antérieure des mêmes auteurs parue dans la même série, « Canada’s Cultural Exemption: Insulator or Lightning Rod? », 1996.

(97) « Le Groupe d’Ottawa lance une alliance internationale des ministres de la Culture », ministère du Patrimoine canadien, Ottawa, Communiqué de presse, 30 juin 1998.

(98) Rapport final du Groupe de travail sur la politique culturelle au XXIe siècle, Conférence canadienne des arts, juin 1998 (version électronique disponible à http://www.culturenet.ucalgary.ca). Dans un rapport préliminaire publié en janvier, le groupe de travail concluait que :

la valeur de l’exception [contenue dans l’ALÉ et l’ALÉNA] était gravement diminuée par l’éventualité de mesures de représailles, ce qui décourage les gouvernements nationaux d’entreprendre de nouvelles initiatives culturelles. Le Groupe a également considéré que la décision des États-Unis d’utiliser l’Organisation mondiale du commerce pour contourner l’exception enchâssée dans l’ALÉ et l’ALÉNA équivalait à une condamnation de l’utilisation de clauses similaires dans d’autres accords visant à protéger la souveraineté culturelle du Canada. (Texte paru sur l’Internet, p. 2).

Dans le rapport final de juin, le Groupe de travail recommande au :

Sous-comité parlementaire du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux d’organiser dès que possible des audiences qui permettront de rédiger une déclaration des « droits mondiaux parallèles ». À partir de là, le Canada ne ratifiera les accords sur le commerce et les investissements internationaux que s’ils respectent les principes de cette déclaration. Il faudrait achever ces travaux avant la série de négociations qui est prévue pour l’an 2000 à l’Organisation mondiale du commerce. (Résumé et synthèse des recommandations, texte de l’Internet, p. 7).

(99) David Long, « Canada-EU Relations in the 1990s », dans Fen Osler Hampson et Maureen Appel Molot (éd.), Canada Among Nations: Leadership and Dialogue, Toronto, Oxford University Press 1998, 1998, p. 199 (traduction).

(100) Comité permanent des Affaires étrangères, L’intégration européenne : son importance pour le Canada, Ottawa, juillet 1996, p. 36.

(101) L’information détaillée qui suit provient en grande partie du document annuel d’Affaires extérieures et Commerce international Canada intitulé Ouvrir des portes sur le monde : priorités du Canada en matière d’accès aux marchés internationauxl, 1998.

(102) En revanche, la part des importations en provenance de l’Europe (10 p. 100) dans l’ensemble des importations canadiennes ne bouge à peu près pas depuis quinze ans.

(103) Parmi les autres facteurs, il y a la stagnation économique que l’Europe a connue pendant une grande partie de la décennie et l’appréciation du dollar canadien.

(104) Le marché de l’UE est déjà plus grand que celui des États-Unis.

(105) Le Conference Board du Canada, Strengthening Canada-European Business Relations, rapport no 203-97, juillet 1997.

(106) Le Canada continue de subir le plein effet du tarif extérieur commun de l’UE.

(107) Parmi les produits canadiens qui bénéficieraient d’un meilleur accès au marché européen, il y a l’aluminium, le cuivre, les métaux non ferreux, les produits agricoles, le poisson et les produits du poisson, les produits du bois, les produits chimiques et le matériel de télécommunications.

(108) La Commission approuve un plan d’action provisoire pour le Partenariat économique transatlantique, Bruxelles, 16 septembre 1998 (version Internet accessible à l’adresse http://www.europa.eu.int/comm/dg01). Dans un article récent, Richard Steinberg fait un examen utile des liens entre le transatlantisme et le multilatéralisme commercial au niveau de l’OMC. Il écrit entre autres :

... à court terme, l’incertitude régnera quant à l’avenir du multilatéralisme libéral : la recherche d’un ensemble de politiques commerciales bilatérales, régionales et multilatérales que mènent actuellement les puissances transatlantiques pourrait déboucher sur une coopération transatlantique accrue qui renforcerait le multilatéralisme libéral, ou se transformer en une concurrence transatlantique plus féroce et catalyser la régionalisation compétitive. (« Great Power Management of the World Trading System: A Transatlantic Strategy for Liberal Multilateralism », Law and Policy in International Business, vol. 29, hiver 1998, p. 208 (traduction).)

(109) Pour une analyse plus approfondie, voir Preparing the EU-MERCOSUR Association: Benefits and Obstacles, Madrid, Institut pour les relations Europe-Amérique latine, Document d’information, juillet 1998.

(110) David Long, « Canada-EU Relations in the 1990s », dans Fen Osler Hampson et Maureen Appel Molot (éd.), Canada Among Nations 1998 : Leadership and Dialogue, Toronto, Oxford University Press, 1998, p. 204 (traduction).

(111) Affaires étrangères et Commerce international Canada, Notes pour un discours de l’honorable Roy MacLaren, ministre du Commerce international, au Royal Institute of International Affairs à Londres, Déclaration 95/32, 22 mai 1995, p. 2.